Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/515

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De votre vin je ne bois plus ;
J’ai la fièvre, c’est chose claire.

« Apollon, qui me fit ces vers,
Est dieu, dit-il, de médecine ;
Entendez ses charmants concerts,
Et sentez sa force divine. »

Je lus vos vers, je les relus ;
Mon âme en fut plus que ravie.
Heureux, dis-je, sont vos élus !
D’un mot vous leur rendez la vie.

Et le plaisir et la santé,
Que votre verve a su me rendre,
Et l’amour de l’humanité,
D’un saut me porteront en Flandre.

Enfin je verrai, dans huit jours,
Le dieu du Pinde et de Cvthère ;
Entre les Arts et les Amours,
Cent fois j’embrasserai Voltaire.

Partez, Hony, mon précurseur ;
Déjà mon esprit vous devance ;
L’intérêt est votre moteur ;
Le mien, c’est la reconnaissance.

J’attends le jour de demain comme étant l’arbitre de mon sort, la marque caractéristique de la fièvre ou de ma guérison. Si la fièvre ne revient plus, je serai mardi ( de demain en huit) à Anvers, où je me flatte du plaisir de vous voir avec la marquise. Ce sera le plus charmant jour de ma vie. Je crois que j’en mourrai ; mais du moins on ne peut choisir de genre de mort plus aimable.

Adieu, mon cher Voltaire ; je vous embrasse mille fois.

Fédéric.

1342. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Wesel, 6 septembre.

Mon cher Voltaire, il faut, malgré que j’en aie, céder à la fièvre quarte, plus tenace qu’un janséniste ; et quelque envie que j’ai eue d’aller à Anvers et à Bruxelles, je ne me vois pas en état d’entreprendre pareil voyage sans risque. Je vous demanderai donc si le chemin de Bruxelles à Clèves ne vous paraîtrait pas trop long pour me joindre ; c’est l’unique moyen de vous voir qui me reste. Avouez que je suis bien malheureux, car à présent que je puis disposer de ma personne, et que rien ne m’empêchait de vous voir, la fièvre s’en mêle, et parait avoir le dessein de me disputer cette satisfaction.

Trompons la fièvre, mon cher Voltaire, et que j’aie du moins le plaisir