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Français peuvent faire, et ce qu’ils ne font pas ; il semble que vous méritiez de naître dans un plus beau siècle. Nous avons un Bouchardon, mais nous n’avons guère que lui ; je me flatte que vous inspirerez le goût à ceux qui ont le bonheur ou le malheur d’être en place : car, sans cela, point de beaux-arts en France.

Pour moi, dans quelque pays que je sois, je vous serai toujours, monsieur, bien tendrement attaché ; je vous regarderai comme celui que les artistes en tout genre doivent aimer, et celui auquel il faut plaire. Je vous remercie mille fois de ce que vous me dites au sujet d’un ministre[1] dont j’ai toujours estimé la personne, sans autre but que celui de lui plaire ; son suffrage et ses bontés me seront toujours chers. Il est vrai qu’avec la bienveillance singulière, j’oserai dire avec l’amitié dont m’honore un grand roi, je ne devrais pas rechercher d’autre protection ; mais je ne vivrai jamais auprès de ce roi aimable ; un devoir sacré m’arrête dans des liens que je ne comprends point. Telle est ma destinée que l’amitié m’attache à un pays qui me persécute. J’aurai donc toujours besoin de trouver dans votre ami un rempart contre les hypocrites et contre les sots, que je hais autant que je vous aime. Mme du Châtelet vous fait bien des compliments. Vous savez, monsieur, avec quelle estime respectueuse et quel tendre attachement je serai toute ma vie votre, etc.


1334. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Bruxelles, le 22 août.

Ce sera donc un nouveau Salomon
Qui de Saba viendra trouver la reine ;
S’il en naissait quelque divin poupon,
Bien ce serait pour la nature humaine ;
Mais j’aime mieux qu’il n’en advienne rien ;
C’est bien assez, pour la terre embellie,
D’un Salomon avec une Émilie :
Le monde et moi ne voulons d’autre bien.

Or, sire, voici le fait. Le monde attache des yeux de lynx sur mon Salomon. Mais est-il vrai qu’il va en France ? dit l’un ; il verra l’Italie, dit l’autre, et on l’élira pape, pour régénérer Rome.

  1. Il s’agit vraisemblablement ici de Maurepas, que Voltaire, avec raison, craignait plus qu’il ne l’estimait. Voyez (tome X) les notes de l’Èpître à un ministre d’État (1740).