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bien difficile, mais le modèle des hommes. Il connaît l’amitié, et, soit dit sans reproche, il me donne de ses nouvelles plus souvent que vous.

M. de Maupertuis va honorer sa cour ; c’est quelque chose de mieux que Platon, qui va trouver un meilleur roi que Denys ; il vient d’arriver à Bruxelles, et va de là à Wesel ou à Clèves ; il y trouvera bientôt le plus aimable roi de la terre, entouré de quelques serviteurs choisis qu’il appelle ses amis, et qui méritent ce titre. Ses sujets et les étrangers le comblent de bénédictions. Tout le monde s’embrassait à son retour dans les rues de Berlin ; tout le monde pleurait de joie. Plus de trente familles, que la rigueur du dernier gouvernement avait forcées d’aller en Hollande, ont tout vendu pour aller vivre sous le nouveau roi. Un petit-fils du premier ministre de Saxe, qui a cinquante mille florins de revenu, me disait ces jours passés : « Je n’aurai jamais d’autre maître que le roi de Prusse ; je vais m’établir dans ses États. » Il n’a encore perdu aucune journée, il fait des heureux ; il respecte même la mémoire de son père ; il l’a pleuré, non par ostentation de vertu, mais par l’excès de son bon naturel. Je bénis l’Auteur de la nature d’être né dans le siècle d’un si bon prince. Peut-être son exemple donnera de l’émulation aux autres souverains. Adieu, rougissons de n’être pas aussi vertueux que lui, et de ne pas cultiver assez l’amitié, la première des vertus dont un roi donne l’exemple aux hommes.


1327. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Remusberg, 8 août.

Mon cher Voltaire, je crois que Van Duren vous coûte plus de soins et de peines que Henri IV. En versifiant la vie d’un héros, vous écriviez l’histoire de vos pensées ; mais, en harcelant un scélérat, vous joutez avec un ennemi indigne de vous être opposé. Je vous ai d’autant plus d’obligation de l’affection avec laquelle vous prenez mes intérèts à cœur, et je ne demande pas mieux que de vous en témoigner ma reconnaissance. Faites, donc rouler la presse, puisqu’il le faut, pour punir la scélératesse d’un misérable. Rayez, changez, corrigez, et remplacez tous les endroits qu’il vous plaira. Je m’en remets à votre discernement.

Je pars dans huit jours pour Dantzick, et je compte être, le 22, à Francfort. En cas que vous y soyez, je m’attends bien, à mon passage, de vous voir chez moi. Je compte pour sûr de vous embrasser à Clèves ou en Hollande.

Maupertuis est autant qu’engagé chez nous ; mais il me manque encore beaucoup d’autres sujets que vous me ferez plaisir de m’indiquer.