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J’ai dîné ici, aujourd’hui, avec un député de Frise, nommé M. Halloy, qui a eu l’honneur de voir Votre Majesté à l’armée, qui compte lui faire sa cour à Clèves, et qui pense sur le Marc-Aurèle du Nord comme moi. Ô que je vais demain embrasser ce M. Halloy ! Aujourd’hui M. de Fénelon[1]


1322. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Charlottenbourg, 29 juillet.

Mon cher ami, des voyageurs qui reviennent des bords du Frisch-Haff[2] ont lu vos charmants ouvrages, qui leur ont paru un restaurant admirable, et dont ils avaient grand besoin pour les rappeler à la vie. Je ne dis rien de vos vers, que je louerais beaucoup si je n’en étais le sujet ; mais un peu moins de louanges, et il n’y aurait rien de plus beau au monde.

Mon large ambassadeur, à panse rebondie,
Harangue le roi très-chrétien,
Et gens qu’il ne vit de sa vie ;
Il en gagnera l’étisie,
En très-bon rhétoricien.
Fleury nous affublait d’un bavard de sa clique,
Mutilé de trois doigts, courtois en matelot ;
Je me tais sur Camas, je connais sa pratique,
Et l’on verra s’il est manchot[3].

Les lettres de Camas ne sont remplies que de Bruxelles ; il ne tarit point sur ce sujet, et, à juger par ses relations, il semble qu’il ait été envoyé à Voltaire et non à Louis.

Je vous envoie les seuls vers que j’aie eu le temps de faire depuis longtemps. Algarotti les a fait naître ; le sujet est la Jouissance[4]. L’Italien supposait que nous autres habitants du Nord ne pouvions pas sentir aussi vivement que les voisins du lac de Garde. J’ai senti et j’ai exprimé ce que j’ai pu, pour lui montrer jusqu’où notre organisation pouvait nous procurer du sentiment. C’est à vous de juger si j’ai bien peint ou non. Souvenez-vous, au moins, qu’il y a des instants aussi difficiles à représenter que l’est le soleil dans sa plus grande splendeur ; les couleurs sont trop pâles pour les peindre, et il faut que l’imagination du lecteur supplée au défaut de l’art.

Je vous suis très-obligé des peines que vous voulez bien vous donner touchant l’impression de l’Anti-Machiavel. L’ouvrage n’était pas encore

  1. Le reste manque. (K.)
  2. Golfe de la mer Baltique, entre Dantzick et Kœnigsberg.
  3. Voyez la note 2 de la page 449.
  4. Les Œuvres de Frédéric II ne contiennent qu’une épître à Algarotti. Elle est sur l’Amour-propre.