Ils sont faits pour charmer les beaux lieux où je suis.
Du jardin d’Apollon nous cueillons tous les fruits ;
Newton est notre maître, et Milton nous délasse ;
Nous combattons Malbranche, et relisons Horace.
Ajoute un nouveau charme à nos plaisirs divers.
Heureux le philosophe épris de l’art des vers ;
Mais heureux le poëte épris de la science !
Les mots ne bornent point sa vive intelligence ;
Des mouvements du ciel il dévoile le cours,
Il suit l’astre des nuits et le flambeau des jours ;
Loin des sentiers étroits de la Grèce aveuglée,
Son esprit monte aux cieux qu’entr’ouvrit Galilée ;
Il connaît, il admire un univers nouveau.
On ne le verra point, sur les pas de Boileau,
Douter si le soleil tourne autour de son axe,
« Et, l’astrolabe en main chercher un parallaxe[1] »
Il attaque, il détrône, il enchaîne en beaux vers
Les affreux préjugés, tyrans de l’univers.
Je connais le poëte à ces marques sublimes,
Non dans un alphabet de pédantesques rimes,
Non dans ces vers forcés, surchargés d’un vieux mot,
Où l’auteur nous ennuie en phrases de Marot[2].
De ce style emprunté tu proscris la bassesse.
Qui pense hautement s’exprime avec noblesse ;
Et le sage Formont laisse aux esprits mal faits
L’art de moraliser du ton de Rabelais[3].
Nardi parvus onyx eliciet cadum.
Envoyez-nous donc, mon cher philosophe-poëte, votre belle épître. À qui la donnerez-vous, si vous la refusez à la divinité de Cirey ? Vous savez combien Mme du Châtelet aime votre esprit ; vous savez si elle est digne de voir vos ouvrages ; pour moi, je demande, au nom de l’amitié, ce qu’elle a droit d’exiger de l’estime que vous avez pour elle. Nous sommes bien loin d’abandonner ici la poésie pour les mathématiques ; nous nous souvenons que c’est Virgile qui disait :
Nos vero dulces teneant ante omnia musæ ;
Defectus solis varios… et sidéra monstrent.