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devoir augmenter l’intérêt, est précisément ce qui l’affaiblit ; et la raison indubitable que je vous en apportais, c’est que cette mort change l’intérêt de la pièce tout d’un coup : elle rend l’action double ; le cœur était occupé des sentiments qu’inspirait l’amour de Zulime ; il s’agissait de savoir si elle obtiendrait la préférence sur sa rivale ; on est plein de cette idée, et dans l’instant c’est un nouveau nœud qui se présente, c’est la mort d’un père, c’est une nouvelle pièce : prenez-y bien garde, voilà la source unique et nécessaire du mauvais succès. Laissez là toutes les petites critiques qu’on a pu faire ; jamais des critiques de détail n’ont fait tomber une pièce, c’est le cœur seul qui fait le succès ou la chute. Il faut être touché, et un double nœud égare l’esprit et ne l’attendrit pas ; je regarde cette règle comme le fondement du théâtre.

Je fus infiniment fâché quand je vis que vous donniez la préférence à cette leçon sur la nouvelle, dont j’avais envoyé l’esquisse. Dans cette nouvelle manière, il y avait à la vérité un quatrième faible, mais le même intérêt subsistait toujours. Enfin Zulime changeait d’état au cinquième acte. C’était là un très-beau dénoûment, et qui avait le mérite attrayant de la nouveauté. J’aurais pu faire en quinze jours de temps quelque chose de très-bon de l’esquisse de ces deux actes, mais vous ne voulûtes pas ; le temps pressait, et ma malheureuse destinée m’emporta. Paix soit aux mânes de Zulime ! On ne sait que trop que j’ai fait Mahomet ; mais il faudra la donner sous le nom de Sèide, et si vous m’en croyez, vous la donnerez tout au commencement de l’hiver, pour ne pas laisser le temps au public d’éventer le secret.

Je ne suis pas plus content que vous, mademoiselle, du nouveau plan de Mahomet, tel que M. de Pont-de-Veyle l’a reçu ; mais en voici un autre qui me vient à l’esprit : il me paraît assez conforme à celui dont M. d’Argental avait eu la bonté de me parler dans une de ses lettres, du moins je le pense par amour-propre.

Ne me faites pas moins l’aumône de vos idées : je les préférerai toujours aux miennes ; mais je ne peux m’empêcher de corriger, de travailler sur-le-champ, dès que mon conseil n’est pas content. Vous me direz que c’est du temps perdu : non, c’est un travail qui tient toujours l’esprit en haleine ; je travaillerai dix ans à Mahomet, s’il le faut, jusqu’à ce que vous soyez satisfaite.

Vous ne me dites point, mademoiselle, si vous avez reçu un paquet que j’ai eu l’honneur de vous envoyer ; c’est M. Helvétius qui a dû le faire mettre au coche de Charleville ou de Reims ; il