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Mille tendres respects à Mme d’Argental. Mme du Châtelet vous fait à tous deux bien des compliments ; elle vous aime autant que je vous suis attaché.


1301. — À M. L’ABBÉ PRÉVOST.
Bruxelles, juin.

Arnauld fit autrefois l’apologie de Boileau[1], et vous voulez, monsieur, faire la mienne[2]. Je serais aussi sensible à cet honneur que le fut Boileau, non que je sois aussi vain que lui, mais parce que j’ai plus besoin d’apologie. La seule chose qui m’arrête tout court est celle qui empêcha le grand Condé d’écrire des mémoires. Vous voyez que je ne prends pas d’exemples médiocres. Il dit qu’il ne pourrait se justifier sans accuser trop de monde.

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · Si parva licet componere magnis.

(Georg., iv, 176.)

Je suis à peu près dans le même cas.

Comment pourrais-je, par exemple, ou comment pourriez-vous parler des souscriptions de ma Henriade, sans avouer que M. Thieriot, alors fort jeune, dissipa malheureusement l’argent des souscriptions de France ? J’ai été obligé de rembourser à mes frais tous les souscripteurs qui ont eu la négligence de ne point envoyer à Londres, et j’ai encore par devers moi les reçus de plus de cinquante personnes. Serait-il bien agréable pour ces personnes, qui, pour la plupart, sont des gens très-riches, de voir publier qu’ils ont eu l’économie de recevoir à mes dépens l’argent de mon livre ? Il est très-vrai qu’il m’en a coûté beaucoup pour avoir fait la Henriade, et que j’ai donné autant d’argent en France que ce poëme m’en a valu à Londres ; mais plus cette anecdote est désagréable pour notre nation, plus je craindrais qu’on ne la publiât.

S’il fallait parler de quelques ingrats[3] que j’ai faits, ne serait-ce pas me faire des ennemis irréconciliables ? Pourrais-je enfin publier la lettre que m’écrivait l’abbé Desfontaines, de Bicêtre, sans commettre ceux qui y sont nommés ? J’ai sans doute de quoi prouver que l’abbé Desfontaines me doit la vie, je ne dirai point

  1. Apologie de la satire x de Boileau, ou lettre d’Antoine Arnauld à Perrault.
  2. Voyez la lettre 1230.
  3. La lettre du 20 décembre 1753, à Mme Denis, contient le nom de plusieurs de ces ingrats.