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losophique, ne doit point sortir de la sphère des philosophes. Non, elle n’est point faite pour des gens qui ne savent point penser.

Vos deux lettres ont produit un effet bien différent sur ceux à qui je les ai rendues. Césarion, qui avait la goutte, l’en a perdue de joie ; et Jordan, qui se portait bien, pensa en prendre l’apoplexie : tant une même cause peut produire des effets différents ! C’est à eux à vous marquer tout ce que vous leur inspirez ; ils s’en acquitteront aussi bien et mieux que je ne pourrais le faire.

Il ne nous manque à Remusberg qu’un Voltaire pour être parfaitement heureux ; indépendamment de votre absence, votre personne est, pour ainsi dire, innée dans nos âmes. Vous êtes toujours avec nous. Votre portrait préside dans ma bibliothèque ; il pend au-dessus de l’armoire qui conserve notre Toison d’or ; il est immédiatement placé au-dessus de vos ouvrages, et vis-à-vis de l’endroit où je me tiens, de façon que je l’ai toujours présent à mes yeux. J’ai pensé dire que ce portrait était comme la statue de Memnon, qui donnait un son harmonieux lorsqu’elle était frappée des rayons du soleil ; que votre portrait animait de même l’esprit de ceux qui le regardent. Pour moi, il me semble toujours qu’il paraît me dire :

Ô vous donc qui, brûlant d’une ardeur périlleuse, etc.

(L’Art poet., ch. I, v. 7.)

Souvenez-vous toujours, je vous prie, de la petite colonie de Remusberg, et souvenez-vous-en pour lui adresser vos lettres pastorales. Ce sont les consolations qui deviennent nécessaires dans votre absence ; vous les devez à vos amis. J’espère bien que vous me compterez à leur tête. On ne saurait du moins être plus ardemment que je suis et que je serai toujours, votre très-affectionné et fidèle ami,

Fédéric

958. — À M. DE CIDEVILLE.
À Cirey, ce 10 novembre.

Mon cher ami, je vous dois une Mérope, et je ne vous envoie qu’une épitre. Je ne vous paye rien de ce que je vous dois :

Tam raro scribimus. ut toto non quater anno.

(Hor., lib. II. sat. iii, v. 1.)

Vous m’avez euvoyé une ode[1] charmante. Je rougis de ma misère quand je songe que je n’y ai répondu que par des applaudissements. Vos richesses, en me comblant de joie, me font sentir ma pauvreté. Ne croyez pas, mon cher ami, qu’en vous envoyant une épître, je prétende éluder la promesse de la Mérope.

  1. Cette ode est citée au commencement de la lettre 904.