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rendu des forces. Il fallait que je fusse bien mal, pour que les vers que je reçus de Berlin, datés du 26 avril[1], ne pussent ranimer mon corps en échauffant mon âme. Cette épître[2] sur la nécessité de remplir le vide de l’année par l’étude est, je crois, le meilleur ouvrage de vers qui soit sorti de mon Marc-Aurèle moderne.

C’est ainsi qu’à Berlin, à l’ombre du silence,
Je consacrais mes jours aux dieux de la science…

Toute cette fin-là est achevée, et le reste de la pièce brille partout d’étincelles d’imagination. Votre raison a bien de l’esprit ; mais il y a encore un de vos enfants qui m’intéresse davantage : c’est la Réfutation de Machiavel. Je viens de la relire ; je puis encore une fois assurer Votre Altesse royale que c’est un ouvrage nécessaire au genre humain. Je ne vous cacherai point qu’il y a des répétitions, et que c’est le plus bel arbre du monde qu’il faut élaguer. Je vous dis la vérité, grand prince, comme vous méritez qu’on vous la dise, et j’espère que, quand vous serez un jour sur le trône, vous trouverez des amis qui vous la diront. Vous êtes fait pour être unique en tout genre, et pour goûter des plaisirs que les autres rois sont faits pour ignorer. M. de Keyserlingk vous avertira quand, par hasard, vous aurez passé une journée sans faire des heureux ; et le cas arrivera rarement. Pour moi, je mettrai, en attendant, les points et les virgules à l’Anti-Machiavel. Je vais profiter de la permission que Votre Altesse royale m’a donnée. J’écris aujourd’hui à un libraire[3] de Hollande, en attendant qu’il y ait à Berlin une belle imprimerie et une belle manufacture de papier qui fournisse toute l’Allemagne.

Je viens d’apprendre, dans le moment, qu’il y a quelques anciennes brochures[4] imprimées contre le Prince de Machiavel. On m’a fait connaître le titre de trois : la première est Anti-Machiavel[5] ;

  1. La lettre 1269.
  2. Cette épitre est celle dont parle le prince, dans le second alinéa de sa lettre du 26 avril 1740.
  3. Van Duren. Voyez la lettre qui suit celle-ci.
  4. Prosper Marchand, dans son Dictionnaire historique, article Anti-Garasse, remarque B, tome Ier. page 44, donne les noms des réfutateurs de Machiavel.
  5. L’ouvrage de Gentillet, que par abréviation on appelle Anti-Machiavel, a pour titre : Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un royaume ou autre principauté, divisés en trois livres : à savoir, du conseil, de la religion, et police que doit tenir un prince ; contre Nicolas Machiavel, Florentin, 1576, in-8o. Voltaire, qui n’en parle que d’après les titres qu’on lui a fait