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sage pour ne point mettre ceux à qui on a rendu service à portée de nous nuire. Agissez donc avec ce Thieriot comme j’agis moi-même. Je ne fais point d’attention à son ingratitude ; mais, comme il est assez singulier que ce soit lui qui se plaigne de mon silence, faites-lui sentir, je vous prie, combien il est mal à lui de ne m’avoir point écrit, et de trouver mauvais que je ne lui écrive pas. Ne me compromettez point ; mais informez-moi un peu, mon cher gros chat, de sa conduite et de ses sentiments. Je remets cette négociation à votre prudence, à laquelle je donne carte blanche.

Adieu, ma chère amie, que j’aimerai toujours. J’embrasse votre pleine lune. Quand nous reverrons-nous ? Quand causerons-nous ensemble dans la galerie de Cirey ?


1278. — À M. BERNARD[1].
Bruxelles, le 27 mai.

Le secrétaire de l’Amour est donc le secrétaire des dragons. Votre destinée, mon cher ami, est plus agréable que celle d’Ovide ; aussi votre Art d’aimer me paraît au-dessus du sien. Je fais mon compliment à M. de Coigny[2] de ce qu’il joint à ses mérites celui de récompenser et d’aimer le vôtre. Vous me dites que sa fortune a des ailes ; voilà donc tous les dieux ailés qui se mettent à vous favoriser.

Vous êtes formés tous les deux
Pour plaire aux héros comme aux belles ;
Mais si la fortune a des ailes,
Je vois que la vôtre a des yeux.

On ne l’appellera plus aveugle, puisqu’elle prend tant de soin de vous. Vous serez toujours des trois Bernards[3] celui pour qui j’aurai le plus d’attachement, quoique vous ne soyez encore ni un Crésus ni un saint. Je vous remercie pour les acteurs de Paris, à qui vous souhaitez de la santé. Pour moi, je leur sou-

  1. Pierre-Joseph Bernard, ou Gentil-Bernard.
  2. Jean-Antoine-François de Franquetot, comte et ensuite marquis de Coigny, mort le 4 mars 1748.
  3. Voyez, tome X, page 515, dans les Poésies mêlées, les pièces qui commencent par ces vers :
    En ce pays trois Bernards sont connus ;
    et
    De ces trois Bernards que l’on vante.