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succès dépend en partie du soin extrême qu’il faut prendre, autant qu’on peut, de cacher un nom qui réveillerait les cabales : c’est dans cette vue que je vous propose un expédient qui satisfera en même temps votre délicatesse et ma crainte. Vous pourrez faire présenter le papier ci-joint à l’assemblée après la lecture. Il pourra, sans compromettre personne, faire l’effet que vous souhaitez ; je n’ai plus à présent qu’à recommander Zulime à vos bontés et à l’indulgence du public.

Je persiste toujours à croire Mahomet très-supérieur, sans pourtant penser qu’il soit susceptible d’un intérêt aussi tendre que Zulime, et d’un aussi grand nombre de représentations. Le rôle de Séide réussirait pourtant beaucoup entre les mains de M. Dufresne, et surtout depuis que la fin du quatrième acte est tendre au lieu d’être horrible ; mais il faut donc ressusciter Ponteuil[1] pour jouer Mahomet. Il est certain que, dans ce Mahomet, c’est Mahomet seul qui embarrasse ; mais c’est trop nous inquiéter avant le temps : à chaque pièce suffit sa peine.

Vous trouverez d’ailleurs toujours en moi un homme plus docile dans le commerce qu’un auteur amoureux de ses ouvrages ; je voudrais faire passer dans l’âme des spectateurs des sentiments aussi vifs que ceux que vous m’inspirez.


1277. — À MADAME DE CHAMPBONIN.
De Bruxelles.

Mon cher ami gros chat, vous vous divertissez à Paris, car vous n’écrivez point. Mais pourrai-je, moi, vous divertir à mon tour ? On va jouer Zulime, qui pourtant ne vaut pas Mahomet. N’allez donc pas partir de Paris sans avoir vu Zulime. Mais ne pouvez-vous donc point voir un homme plus tendre, plus aimable, plus sûr de son succès que toutes les tragédies du monde ? C’est mon ange gardien, c’est M. d’Argental. C’est lui qui vous dira le sort de Zulime, car il sait bien ce que le public en doit penser. Comme on a son bon ange, on a aussi son mauvais ange ; malheureusement, c’est Thieriot qui fait cette fonction. Je sais qu’il m’a rendu de fort mauvais offices, mais je les veux ignorer. Il faut se respecter assez soi-même pour ne se jamais brouiller ouvertement avec ses anciens amis ; et il faut être assez

  1. Nicolas-Etienne Lefranc, dit Ponteuil, débuta en septembre 1701, et mourut le 15 auguste 1718.