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J’ai fait partir, monseigneur, pour cette délicieuse retraite, un gros paquet qui vaut mieux que tout ce que je pourrais envoyer à Votre Altesse royale. C’est la philosophie leibnitzienne[1] d’une Française devenue Allemande par son attachement à Leihnitz, et bien plus encore par celui qu’elle a pour vous.

Voici le temps où j’aurais une grande envie de voir un second tome des sentiments d’un certain membre du parlement d’Angleterre[2] sur les affaires de l’Europe ; il me semble que celles d’Angleterre, de Suède et de Russie, méritent bien l’attention de ce digne citoyen. Voilà la Suède, de menaçante qu’elle était autrefois, devenue mesurée ; la voilà embarrassée de sa liberté, et indécise entre l’argent d’Angleterre et celui de France, comme l’âne de Buridan entre deux mesures d’avoine[3]. Mais le citoyen dont je parle ne me donnera-t-il aucune permission sur l’Anti-Machiavel ? S’il veut en gratifier le public, il y a si peu de chose à faire, il n’y a plus que la besogne d’éditeur ; votre génie a fait tout ce qu’il faut. Le reste ne peut s’ajuster que quand on confrontera le texte de Machiavel pour le mettre vis-à-vis de la réponse, afin d’en faire un volume qui ne soit pas trop gros.

J’attends vos ordres pour tout, excepté pour vous admirer.

Il est bien douloureux que la goutte prenne à la main de M. de Keyserlingk, quand il est près de donner de ses nouvelles.

Ce Keyserlingk charmant, l’honneur de votre empire,
À dès longtemps gagné mon cœur ;
Je sens à la fois sa douleur
Et le chagrin de ne pouvoir le lire.

Souffrez, monseigneur, que la Henriade vous remercie encore de l’honneur que vous lui faites. Elle dit humblement avec Stace :

Nec lu divinam Æneida tenta,
Sed longe sequere, et vestigia semper adora.

(Theb., liv. XII, vers 816, 817.)

Je ne suis point si difficile ;
Ce serait pour moi trop d’honneur,
Si je marchais après Virgile
Chez mon prince et chez l’imprimeur.

  1. Les Institutions de physique, par Mme du Châtelet. Voyez tome XXIII page 129.
  2. Voyez la lettre 851.
  3. Voyez, tome IX, le Prologue du chant XII de la Pucelle.