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Voici un petit paquet que Césarion vous envoie. J’espère que son souvenir ne vous sera pas indifférent, et que vous apprendrez avec plaisir que sa santé se fortifie de jour en jour[1].


1266. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
(Bruxelles), avril.

Monseigneur, votre idée m’occupe le jour et la nuit. Je rêve à mon prince comme on rêve à sa maîtresse.

Tempus erat quo prima quies mortalibus ægris
Incipit, et dono Divum gratissima serpit.
In somnis ecce ante oculos pulcherrimus heros
Visus adesse mihi…

( Virg., Æn., II, v. 268.)

Je vous ai vu sur un trône d’argent massifs[2] que vous n’aviez point fait faire, et sur lequel vous montiez avec plus d’affliction que de joie.

Plus frappé de la triste vue
D’un père expirant devant vous,
Que de la brillante cohue
Qui s’empressait à vos genoux.

Beaucoup de courtisans, qui avaient négligé de venir voir Son Altesse royale à Remusberg, venaient en foule saluer Sa Majesté à Berlin.

Je remarquais tout l’étalage
Et l’air de ces nouveau-venus ;
Ce sont seigneurs de haut lignage,
Car ils descendent de Janus,
Ayant tous un double visage.

Ils pourraient même venir aussi, par femmes, du prophète Elisée, qui, au rapport de la très-sainte Écriture[3], avait un esprit double, de quoi plusieurs prêtres ont hérité aussi bien queux.

Plein de douceur et de prudence,
Mon grand prince avec complaisance
Voyait près de son trône admis
Ceux qui, par pure obéissance,

  1. Ce post-scriptum, omis par Beuchot, est tiré des Œuvres posthumes.
  2. Frédéric-Guillaume, dit Voltaire dans ses Mémoires, se donna le plaisir de meubler tout le grand appartement de son palais de gros effets d’argent massif.
  3. IVe livre des Rois, chapitre II, verset 9.