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que les libraires d’Amsterdam viennent de faire de mes rêveries avec beaucoup de frais et encore plus d’ignorance. J’attends qu’ils aient corrigé leurs sottises, et que je n’aie plus à vous demander grâce que pour les miennes.

Je m’attendais bien que votre tragédie[1] marquerait, comme vos autres ouvrages, un génie neuf et tout entier à vous.

Je vois presque partout de ces infortunées,
À des pleurs éternels par l’auteur condamnées,
Avec leur confidente exhalant leurs douleurs,
Et, cinq actes entiers, répétant leurs malheurs ;
Des absurdes tyrans brutaux dans leurs tendresses,
Des courtisans polis cajolant leurs maîtresses,
Un hymen proposé, fait, défait et conclu,
Cent lieux communs usés d’amour et de vertu :
Le tout en vers pillés, en couplets à la glace.
Cousus sans harmonie et récités sans grâce.

Vous avez un quatrième acte qui est bien court, mais qui paraît devoir faire au théâtre un effet admirable. Je vous avoue que je ne conçois pas pourquoi, dans votre préface, vous justifiez le meurtre de Volfax, « par la raison, dites-vous, qu’on aime à voir punir un scélérat qu’on pourrait exécuter derrière les coulisses, tandis que celui d’un honnête homme qu’on viendrait tuer sur le théâtre ne serait pas toléré, et qu’une action atroce, mise sous les yeux sans nécessité, ne serait qu’un artifice grossier qui révolterait ».

La véritable raison, à mon gré, du succès de votre coup de poignard, qui devient un grand coup de théâtre, c’est qu’il est nécessaire. Volfax surprend et va perdre les deux hommes à qui le spectateur s’intéresse le plus : il n’y a d’autre parti à prendre que de le tuer. Arundel ne fait que ce que chacun des auditeurs voudrait faire. Le succès est sûr quand l’auteur dit ou fait ce que tout le monde voudrait à sa place avoir fait ou avoir dit.

Courage, monsieur ! Étendez la carrière des arts. Vous trouverez toujours en moi un homme qui applaudira sincèrement à vos talents, et qui se réjouira de vos succès. Plus vous mériterez ma jalousie, et moins je serai jaloux. J’aime les arts passionnément ; j’aime ceux qui y excellent. Je ne hais que les satiriques. Je ne lis ni même ne reçois aucune des brochures dont vous me parlez. Je vois par votre préface que quelque barbouilleur

  1. Edouard III, représenté le 22 janvier 1740.