Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.



1248. — À : M. LE PRÉSIDENT HÉNAULT[1],
le favori des muses.
Bruxelles, ce 2 mars.

Quand à la ville un solitaire envoie
Des fruits nouveaux, honneur de ses jardins,
Nés sous ses yeux, et plantés par ses mains,
Il les croit bons, et prétend qu’on le croie.

Quand, par le don de son portrait flatté,
La jeune Aminte à ses lois vous engage,
Elle ressemble à la divinité
Qui veut vous faire adorer son image.

Quand un auteur, de son œuvre entêté,
Modestement vous en fait une offrande,
Que veut de vous sa fausse humilité ?
C’est de l’encens que son orgueil demande.

Las ! je suis loin de tant de vanité.
À tous ces traits gardez de reconnaître
Ce qui par moi vous sera présenté ;
C’est un tribut, et je l’offre à mon maître.

J’ose donc, monsieur, vous envoyer ce tribut très-indigne ; j’aurais voulu faire encore plus, de changements à ces faibles ouvrages ; mais Bruxelles est l’éteignoir de l’imagination.

Les vers et les galants écrits
Ne sont pas de cette province.
Et dans les lieux où tout est prince
Il est très-peu de beaux esprits.
Jean Rousseau, banni de Paris,
Vit émousser dans ce pays
Le tranchant aigu de sa pince,
Et sa muse, qui toujours grince.
Et qui fuit les jeux et les ris.
Devint ici grossière et mince.

    reux. J’ai reçu, cette semaine, deux sommations d’un Français qui veut aller à Constantinople : il m’aurait entraîné à faire ce charmant voyage ; mais puisque vous n’avez pu m’y décider, personne ne le pourra.


    Adieu, mon cher ami, que j’aimerai et que je respecterai toute ma vie, adieu. Dites-moi comment vous vous portez ; dites-moi que vous êtes heureux ; je le serai, si vous continuez à l’être. À vous pour toujours.

  1. Voyez tome XIV, page 79.