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peut manquer de toucher. J’ajoute qu’on est incertain du dénoûment jusqu’à la fin de la dernière scène, et qu’il y a quatre acteurs intéressants qui tiennent le théâtre rempli depuis le premier acte jusqu’au dernier. Pardonnez-moi cette petite apologie que je soumets à votre critique et à vos lumières.

À l’égard de Mahomet, je suis aussi mécontent que vous du dernier acte ; mais je crois qu’en mettant la reconnaissance à la fin du quatrième, et l’amenant naturellement en présence du père tout sanglant, et blessé par son fils, et revenant sur la scène tenant le poignard dont il a été frappé ; je crois, dis-je, que c’est le seul moyen de pousser dans cet acte la terreur et la tendresse à son comble, et de réserver beaucoup d’étoffe pour le cinquième. Il était impossible que la reconnaissance pût toucher au cinquième acte ; il faut qu’elle se fasse quand le sang versé du père est tout chaud. Je ne connais point en ce cas de reconnaissance qui excite plus la terreur et la pitié ; mais partout ailleurs elle sera froide. Revenons à votre protégée Zulime : je vous demande en grâce, ou de ne pas souffrir que Minet transcrive les rôles ailleurs que chez vous, ou de vouloir bien prendre un autre copiste, car Minet commence toujours par faire une copie pour lui, et la vend à toutes les troupes de campagne ; j’en ai la preuve. Pour les rôles, je m’en remets absolument à votre goût et à votre justice. Comptez à jamais, mademoiselle, je vous en conjure, sur le dévouement que j’ai pour vous, et sur tous les sentiments avec lesquels je vous serai attaché toute ma vie. V.

Mme du Châtelet vous fait les plus tendres compliments.


1240. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce 16…

Mes anges sont des dieux ; ils me commandent l’impossible. J’étais si dégoûté à Paris des deux derniers actes de Zulime que je les laissai parmi mes paperasses inutiles, chez l’abbé Moussinot. Je n’en ai pas ici la moindre trace ; mais si vous êtes dans la résolution de hasarder cette pauvre Zulime, que je ne ferai jamais imprimer, qu’importent deux ou trois liaisons de plus ou de moins qui occasionneraient quelques critiques au coin du feu, mais qui glissent sur les spectateurs à la représentation ? La grande affaire n’est pas de savoir si le départ des Espagnols est bien assuré au cinquième acte, ni si le serment de fidélité a été duement prêté au quatrième : De minimis non curat spectator. Le