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qui aiment toujours la religion, malgré les crimes des hypocrites. Je vous avoue que, si je suivais entièrement mon goût, je me livrerais tout entier à l’Histoire du siècle de Louis XIV, puisque le commencement ne vous en a pas déplu ; mais je n’y travaillerai point tant que je serai à Bruxelles ; il faut être à la source pour puiser ce dont j’ai besoin ; il faut vous consulter souvent. Je n’ai point assez de matériaux pour bâtir mon édifice hors de France. Je vais donc m’enfoncer dans les ténèbres de la métaphysique et dans les épines de la géométrie, tant que durera le malheureux procès[1] de Mme du Châtelet.

J’ai fait ce que j’ai pu pour mettre Mahomet dans son cadre, avant de quitter la poésie ; mais j’ai peur que, dans cette pièce, l’attention à ne pas dire tout ce qu’on pourrait dire n’ait un peu éteint mon feu. La circonspection est une belle chose, mais en vers elle est bien triste. Être raisonnable et froid, c’est presque tout un ; cela n’est pas à l’honneur de la raison.

Si j'avais de la santé, et si je pouvais me flatter de vivre, je voudrais écrire une histoire de France à ma mode. J’ai une drôle d’idée dans ma tête : c’est qu’il n’y a que des gens qui ont fait des tragédies qui puissent jeter quelque intérêt dans notre histoire sèche et barbare. Mézerai et Daniel m’ennuient ; c’est qu’ils ne savent ni peindre ni remuer les passions. Il faut, dans une histoire comme dans une pièce de théâtre, exposition, nœud et dénoûment.

Encore une autre idée. On n’a fait que l’histoire des rois, mais on n’a point fait celle de la nation. Il semble que, pendant quatorze cents ans, il n’y ait eu dans les Gaules que des rois, des ministres et des généraux ; mais nos mœurs, nos lois, nos coutumes, notre esprit, ne sont-ils donc rien ?

Adieu, monsieur ; respect et reconnaissance.

P. S. Pardon ; il s’est trouvé une grande figure d’optique sur l’autre feuillet ; je l’ai déchiré.


1235. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Ce 29 janvier.

Je suis absolument de l’avis de l’ange gardien et de ses chérubins sur le retranchement de la scène d’Atide, au quatrième acte. Non-seulement cette arrivée d’Atide ressemblait en quelque

  1. Ce procès ne fut terminè qu’en 1744, à Cirey, par une transaction-avantageuse pour la maison du Châtelet.