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avec plus de philosophie que moi, parce que son âme est au-dessus de la mienne.

Il y a peu de grands seigneurs de deux cent mille livres de rente qui fassent pour leurs parents ce que Mme du Châtelet avait fait pour König. Elle avait soin de lui et de son frère, les logeait, les nourrissait, les accablait de présents, leur donnait des domestiques, leur fournissait à Paris des équipages. Je suis témoin qu’elle s’est incommodée pour eux ; et, en vérité, c’était bien payer la métaphysique romanesque de Leibnitz, dont König l’entretenait quelquefois les matins. Tout cela a fini par des procédés indignes que Mme du Châtelet veut encore avoir la grandeur d’âme d’ignorer.

Vous trouverez, mon cher ami, dans votre vie, peu de personnes plus dignes qu’elle de votre estime et de votre attachement.

Adieu, mon jeune Apollon ; je vous embrasse, je vous aime à jamais.


1233. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Bruxelles, le 26 janvier[1].

Monseigneur, j’ai reçu vos chapitres de l’Anti-Machiavel et votre ode sur la Flatterie, et votre lettre en vers et en prose que l’abbé de Chaulieu ou le comte Hamilton vous ont sûrement dictée. Un prince qui écrit contre la flatterie est aussi étrange qu’un pape qui écrirait contre l’infaillibilité. Louis XIV n’eût jamais envoyé une pareille ode à Despréaux, et je doute que Despréaux en eût envoyé autant à Louis XIV. Toute la grâce que je demande à Votre Altesse royale, c’est de ne pas prendre mes louanges pour des flatteries. Tout part du cœur chez moi, approbation de vos ouvrages, remerciements de vos bontés ; tout cela m’échappe, il faut que vous me le pardonniez.

Je ne suis pas tout à fait exilé, comme on l’a mandé.

Ce vieux madré de cardinal,
Qui vous escroqua la Lorraine,
N’a point de son pays natal
Exclu ma muse un peu hautaine ;
Mais son cœur me veut quelque mal :
J’ai berné la pourpre romaine ;

  1. Cette lettre répond aux lettres 1224 et 1225.