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à votre ami[1]. Adieu, je vous embrasse, mon jeune Apollon. V.

Je vous supplie de vouloir bien faire mettre cette lettre à la poste.

1232. — À M. HELVÉTIUS.
Bruxelles, 24 janvier.

Ne les verrai-je point ces beaux vers que vous faites[2],
Ami charmant, sublime auteur ?
Le ciel vous anima de ces flammes secrètes
Que ne sentit jamais Boileau l’imitateur,
Dans ses tristes beautés si froidement parfaites.
Il est des beaux esprits, il est plus d’un rimeur ;
Il est rarement des poëtes.
Le vrai poëte est créateur ;
Peut-être je le fus, et maintenant vous l’êtes.

Envoyez-moi donc un peu de votre création. Vous ne vous reposerez pas après le sixième jour ; vous corrigerez, vous perfectionnerez votre ouvrage, mon cher ami. Votre dernière lettre m’a un peu affligé. Vous tâtez donc aussi des amertumes de ce monde, vous éprouvez des tracasseries, vous sentez combien le commerce des hommes est dangereux ; mais vous aurez toujours des amis qui vous consoleront, et vous aurez, après le plaisir de l’amitié, celui de l’Étude :

Nam nil dulcius est bene quam munita tenere
Edita doctrina sapientum templa serena,
Despicere unde queas alios, passimque videre
Errare atque viam palantes quærere vitæ.

(Lucr.. II, 7.)

Il y a bientôt huit ans que je demeure dans le temple de l’amitié et de l’étude. J’y suis plus heureux que le premier jour. J’y oublie les persécutions des ignorants en place, et la basse jalousie de certains animaux amphibies qui osent se dire gens de lettres. J’y puise des consolations contre l’ingratitude de ceux qui ont répondu à mes bienfaits par des outrages. Mme du Châtelet, qui a éprouvé à peu près la même ingratitude, l’oublie

  1. Montmirel
  2. Il doit s’aigir du poëme sur le Bonheur, que l’auteur n’acheva que de longues
    années après. (B.)