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Des beaux esprits et des docteurs.
Ô toi, le fils chéri des Grâces,
L’organe de la vérité !
Toi, qui vois naître sur tes traces
L’indépendante liberté !
Ne permets point que ta sagesse,
Craignant l’orage et les hasards,
Préfère à l’instinct qui te presse
L’indolente et molle paresse
Et des Gressets et des Bernards.

Quand même la bise cruelle
De son souffle viendrait faner
Les fleurs, production nouvelle,
Dont Flore peut se couronner,
Le jardinier, toujours fidèle,
Loin de se laisser rebuter,
Va de nouveau pour cultiver
Ue fleur plus tendre et plus belle.
C’est ainsi qu’il faut réparer
Le dégât que cause l’orage ;
Voltaire, achève ton ouvrage,
C’est le moyen de te venger.

Le conseil vous paraîtra intéressé ; j’avoue qu’il l’est effectivement, car j’ai trouvé un plaisir infini à la lecture de l’Histoire de Louis XIV ; et je désire beaucoup de la voir achevée. Cet ouvrage vous fera plus d’honneur un jour que la persécution que vous souffrez ne vous cause de chagrin. Il ne faut pas se rebuter si aisément. Un homme de votre ordre doit penser que l’Histoire de Louis XIV, imparfaite, est une banqueroute dans la république des lettres. Souvenez-vous de César qui, nageant dans les flots de la mer, tenait ses Commentaires d’une main sur sa tête, pour les conserver à la postérité[1].

Comment vous parler de mes faibles productions, après n’avoir dit qu’un mot de vos ouvrages immortels[2] ! je dois cependant vous rendre compte de mes études. L’approbation que vous donnez aux cinq chapitres de Machiavel que je vous ai envoyés m’encourage à finir bientôt les quatre derniers chapitres. Si j’avais du loisir vous auriez déjà tout l’Anti-Machiavel, avec des corrections et des additions ; mais je ne puis travailler qu’à bâtons rompus.

Très-occupé pour ne rien faire,
Le temps, cet être fugitif.
S’envole d’une aile légère ;
Et l’âge, pesant et tardif,

  1. Plutarque, Vie de Cesar, chap. xlix, et Suétone, méme sujet, chap. lxiv, parlent tous deux de papiers, sans mentionner expressément les Commentaires.
    Ce fut Camoëns qui, dans son naufrage sur la côte du royaume de Cambaye, en 1556, tenait de la main droite son poëme de la Lusiade, et se servait de la gauche pour nager. Voyez, tome VIII, le chapitre vi de l’Essai sur la Poésie épique.
  2. Après vous avoir parlé de vos ouvrages immortels ? (Œuvres posthumes.)