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voulu apparemment m’écraser sous cet édifice, mais ils n’y ont pas réussi ; et l’ouvrage et moi nous subsisterons.

Louis XIV donna deux mille écus de pension aux Pellisson, aux Racine, aux Despréaux, aux Valincour, pour écrire son histoire, qu’ils ne firent point. J’ai embrassé, à moins de frais, un objet plus important, plus digne de l’attention des hommes ; l’histoire d’un siècle plus grand que Louis le Grand. J’ai fait la chose gratis, ce qui devait plaire par le temps qui court ; mais le bon marché n’a pas empêché qu’on en ait agi avec moi comme si j’étais parmi des Vandales ou des Gépides. Cependant, mon cher ami, il y a encore d’honnêtes gens, il y a des êtres pensants, des Émilie, des Cideville, qui empêchent que la barbarie n’ait droit de prescription parmi nous. C’est avec eux que je me console ; ce sont eux qui sont ma récompense.

Que faites-vous, mon cher ami ? Êtes-vous à Rouen ou à la campagne, avec les Thomson ou avec les Muses ? Quand vivrons-nous ensemble ? car vous savez bien que nous y vivrons. Il faut qu’à la fin le petit nombre des adeptes se rassemble dans un petit coin de terre. Nous y serons comme les bons Israélites en Égypte, qui avaient la lumière pour eux tout seuls, à ce qu’on dit, pendant que la cour de Pharaon était dans les ténèbres[1]. Mme du Châtelet vous fait les compliments les plus sincères et les plus vifs.

Adieu, mon cher Cideville, adieu, jusqu’au premier envoi que je vous ferai de mes bagatelles, V.

Il y a quatre jours que cette lettre est écrite ; j’ai eu quatre accès de fièvre depuis. Je me porte mieux. Mme du Châtelet vous fait ses compliments.


1228. — DE FRÉDÉRIC, PRIXCE ROYAL DE PRUSSE,
Berlin, 10 janvier.

Pour avoir illustré la France.
Un vieux prêtre[2] ingrat t’en bannit ;
II radote dans son enfance.
C’est bien ainsi que l’on punit,
Mais non pas que l’on récompense.

J’ai lu le Siècle de Louis le Grand ; si ce prince vivait, vous seriez comblé d’honneurs et de bienfaits. Mais, dans le siècle où nous sommes, il

  1. Exode, x, 23.
  2. Le cardinal de Flcury. — C’était le marquis de Valori qui avait parlé à Berlin du prétendu exil de Voltaire.