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Siècle de Louis XIV ; j’en suis un peu dégoûté, quoique je me sois proposé de récrire tout entière dans le style modéré dont Votre Altesse royale a pu voir l’échantillon. D’ailleurs, je suis ici sans mes manuscrits et sans mes livres. Je vais me remettre un peu à la physique. Que ne puis-je être avec les Célius et les hommes de mérite que votre réputation attire déjà dans vos États !

On m’avait dit que le ministre tant annoncé était digne de dîner et de souper ; mais je vois bien qu’il n’est digne que de dîner[1]. J’ai reçu une lettre d’Algarotti, datée de Londres, du 1er octobre ; elle m’a attendu trois mois à Bruxelles. Ce M. Algarotti est encore tout étonné de ce qu’il a vu à Remusberg. « Ah ! quel prince est ça ! » dit-il ; il ne revient pas de sa surprise. Et moi, monseigneur, et moi, pourquoi ne suis-je pas Algarotti ! Pourquoi M. du Châtelet n’est-il pas Baltimore ! Si je n’étais auprès d’Émilie, je mourrais de n’être pas auprès de vous.

Je suis avec le plus profond respect et la plus tendre reconnaissance, etc.


1221. — À M. PITOT DE LAUNAI[2].
2 janvier 1740.

Mon cher philosophe, je vous remercie tendrement de votre souvenir et de la fidélité avec laquelle vous avez soutenu la bonne cause, dans l’affaire de Prault. Il y a longtemps que je connais, que je défie, et que je méprise les calomniateurs. Les esprits malins et légers, qui commencent par oser condamner un homme dont ils n’imiteraient pas les procédés, n’ont garde de s’informer de quelle manière j’en ai usé[3]. Ils le pourraient savoir de Prault lui-même ; mais il est plus aisé de débiter un mensonge au coin du feu que d’aller chez les parties intéressées s’informer de la vérité. Il y a peu d’âmes comme la vôtre qui aiment à rendre justice. Les vérités morales vous sont aussi chères que les vérités géométriques. Je vous prie de voir M. Arouet[4], et de demander l’état où il est. Dites-lui que j’y suis aussi sensible que je dois l’être, et que je prendrais la poste pour le venir voir si je croyais lui faire plaisir. Je vous demande en grâce de m’écrire

  1. Voyez la lettre 1152, page 268.
  2. C’est le membre de l’Académie des sciences à qui est adressée la lettre 747.
  3. Voyez, plus bas, les lettres 1223 et 1225.
  4. Armand Arouet, frère aîné de Voltaire, succéda, dans la cour des comptes, à son père, en 1721, et mourut en 1745.