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ces arts ; nous sommes ici indigents de science, ce qui fait peut-être que nous estimons plus le peu que nous avons.

Vous trouverez peut-être que je bavarde beaucoup ; mais souvenez-vous qu’il y a quatre semaines que je ne vous ai écrit, et que les pluies ne sont jamais plus abondantes qu’après une grande stérilité.

Je vous suis à Cirey, mon cher Voltaire, et je partage avec vous vos chagrins comme vos plaisirs. Profitez des plaisirs de ce monde autant que vous le pouvez : c’est ce qu’un homme sage doit faire. Instruisez-nous, mais que ce ne soit pas aux dépens de votre santé et de votre vie.

Quand est-ce que les Voltaire et les Émilie voyageront vers le Nord ? Je crains fort que ce phénomène, quoique impatiemment attendu, n’arrive pas sitôt. Il ne sera pas dit cependant que je mourrai avant de vous avoir vu ; dussé-je vous enlever, j’en tenterai l’aventure. Avouez que vous seriez bien étonné si vous entendiez arriver de nuit, à Cirey, des gens masqués, des flambeaux, un carrosse, et tout l’appareil d’un enlèvement. Cette aventure ressemblerait un peu à celle de la Pentecôte[1], à la différence près qu’on ne vous ferait d’autre mal que de vous séparer d’Émilie ; j’avoue que ce serait beaucoup. Il me semble que ni vous ni cette Émilie n’êtes point nés pour la chicane, et que tant que Paris se trouvera sur la route de la marquise, son affaire pourrait bien être jugée par contumace.

Le pauvre Césarion, accablé de goutte, n’a pas levé son piquet de Remusberg ; et, quoique je le revendique sans cesse, son mal ne veut point encore me le renvoyer. Il vous aime comme un ami, et vous estime comme un grand homme. Souffrez que je lui serve d’organe, et que je vous exprime ce que les douleurs et l’impuissance dans laquelle il se trouve l’empêchent de vous dire lui-même.

Je ne vous parle point des riens de la ville, des nouvelles frivoles du temps et des bagatelles du jour, qui ne méritent pas de sortir de notre horizon. Je ne devrais vous parler que de vous-même ou de la marquise, mais je craindrais d’ennuyer en faisant ou le miroir ou l’écho de ce que l’on doit admirer en vous. Faites, s’il vous plaît, mes compliments à la marquise, et soyez persuadé que je vous aime et vous estime autant qu’il est possible, étant à jamais votre très-fidèle ami,

Fédéric.

1218. — À M. LE LIEUTENANT GENERAL DE POLICE[2].
Rethel.

En quelque pays du monde que je sois, je compte toujours sur les bontés dont vous m’avez honoré. J’ai appris en chemin qu’on avait saisi un petit recueil que le sieur Prault fils, libraire, faisait de quelques-uns de mes ouvrages. Je puis vous assurer, monsieur, qu’il n’y a aucune des pièces de ce recueil qui n’ait

  1. Voyez la pièce intitulée la Bastille, tome IX.
  2. Éditeur, Léouzon Leduc.