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1206. — À M. L’ABBÉ DU RESNEL.
Ce mercredi[1], onze heures du matin, à l’hôtel de Brie.

L’abbé de Voisenon me mande, mon cher abbé, que vous voulez me venir voir ce matin ; mais, tout malade que je suis, il faut que je sorte. Savez-vous bien ce qu’il faut faire ? Il faut être chez moi, à neuf heures précises, avec l’aimable Cideville, qu’on dit être arrivé. Vous mangerez la poularde du malade ; vous permettrez que je me couche de bonne heure. Si vous voulez venir avec M. Dupré de Saint-Maur[2], il vous ramènerait. Mais où loge M. de Cideville ? Vous le savez apparemment.

Bonjour, mon cher grand abbé. V.


1207. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Remusberg, 10 octobre[3].

Mon cher ami, j’avais cru, avec le public, que vous aviez reçu le meilleur accueil du monde de tout Paris, qu’on s’empressait de vous rendre des honneurs et de vous faire des civilités, et que votre séjour dans cette ville fameuse ne serait mêlé d’aucune amertume. Je suis fâché de m’être trompé sur une chose que j’avais fort souhaitée ; et il paraît que votre sort et celui de la plupart des grands hommes et d’être persécutés pendant leur vie, et adorés comme des dieux après leur mort. La vérité est que ce sort, quelque brillant qu’il vous peigne l’avenir, vous offre le seul temps dont vous pouvez jouir sous une face peu agréable. Mais c’est dans ces occasions où il faut se munir d’une fermeté d’âme capable de résister à la peur et à tous les fâcheux accidents qui peuvent arriver. La secte des stoïciens ne fleurit jamais davantage que sous la tyrannie des méchants empereurs. Pourquoi’ ? parce que c’était alors une nécessité, pour vivre tranquille, de savoir mépriser la douleur et la mort.

Que votre stoïcisme, mon cher Voltaire, aille au moins à vous procurer une tranquillité inaltérable. Dites avec Horace : hi virtute mea involvo[4] : Ah ! s’il se pouvait, je vous recueillerais chez moi ; ma maison vous serait un asile contre tous les coups de la fortune, et je m’appliquerais à faire le

  1. Le 7 octobre, très-probablement.
  2. Voyez tome XXXIII, page 441.
  3. Réponse à la lettre 1200.
  4. · · · · · · · · · · · · · · · Mea
    Virtute me involvo · · · · · · · · · · · · · · ·
    (Lib. III, od, xxix, v. 55.)