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ou quatre intimes amis il faut voler à l’Opéra, à la Comédie, voir des curiosités comme un étranger, embrasser cent personnes en un jour, faire et recevoir cent protestations ; pas un instant à soi, pas le temps d’écrire, de penser, ni de dormir. Je suis comme cet ancien qui mourut accablé sous les fleurs qu’on lui jetait.

De cette tempête continuelle, de ce roulis de visites, de ce chaos éclatant, j’allais encore à Richelieu, avec Mme du Châtelet ; je partais en poste, ou à peu près, et nous revenions de même, pour aller enterrer à Bruxelles toute cette dissipation. Mme la duchesse de Richelieu s’avise de faire une fausse couche, et voilà un grand voyage de moins. Nous partons probablement au commencement d’octobre, pour aller plaider tristement, après avoir été ballottés ici assez gaiement, mais trop fort. C’est avoir la goutte après avoir sauté.

Voilà notre vie, mon cher gros chat ; et vous, tranquille dans votre gouttière, vous vous moquez de nos écarts ; et moi, je regrette ces moments pleins de douceur où l’on jouissait à Cirey de ses amis et de soi-même.

Qu’est-ce donc que ce ballot de livres arrivé à Cirey ? Est-ce un paquet d’ouvrages contre moi ? Je vous dirai, en passant, qu’il n’est pas plus question ici des horreurs de l’abbé Desfontaines que si lui ni les monstres ses enfants n’avaient jamais existé. Ce malheureux ne peut pas plus se fourrer dans la bonne compagnie, à Paris, que Rousseau, à Bruxelles. Ce sont des araignées qu’on ne trouve point dans les maisons bien tenues.

Mon cher gros chat, je baise mille fois vos pattes de velours.


1205. — À M. HELVÉTIUS.
À Paris, le 3 octobre.

Mon jeune Apollon, j’ai reçu votre charmante lettre. Si je n’étais pas avec Mme du Châtelet, je voudrais être à Montbard[1]. Je ne sais comment je m’y prendrai pour envoyer une courte et modeste réponse[2] que j’ai faite aux anti-newtoniens. Je suis l’enfant perdu d’un parti dont M. de Buffon est le chef, et je suis assez comme les soldats qui se battent de bon cœur, sans trop

  1. Petite ville où Georges-Louis Le Clerc de Buffon demeurait, et où il naquit le 7 septembre 1707. Voltaire cite Buffon avec éloge dans une autre lettre, du 27 octobre 1740, à Helvétius. Il sera question plus tard du refroidissement survenu entre ces deux grands écrivains, au sujet des coquilles du sommet des Alpes. Ils finirent par se réconcilier, et, à cette occasion, ils s’écrivirent quelques lettres.
  2. Voyez tome XXIII, page 71.