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conseil, pourquoi donner de suite Atrèe, Œdipe et Mahomet ? N’avez-vous pas des Bérénices et des Zaïres ? Et s’il arrivait un malheur à la Palmire, où serait le mal de donner l’Alzire, et de garder Œdipe pour la rentrée de Pâques ?

Décidez, je m’en remets à vous ; nul que vous n’aura le manuscrit. Ne le laissez jamais un quart d’heure entre les mains de Minet ; il ne manque jamais d’en faire des copies, et de les vendre aux comédiens de campagne.

Sachez, ma belle Thalie, qu’en vous envoyant mon prophète, je corrigerai encore beaucoup ; mais je corrigerai bien davantage quand j’aurai reçu vos avis. Vous savez que vous êtes mon oracle.

Je suis à vos pieds. V.


1197. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Postdam, le 9 septembre.

Mon cher ami, j’ai reçu deux de vos lettres à la fois, auxquelles je vous réponds, savoir celles du 12 d’août et du 17[1]. J’ai très-bien reçu de même le second acte de Mahomet, qui me paraît fort beau ; mais, à vous parler franchement, moins travaillé, moins fini que le premier. Il y a cependant un vers, dans le premier acte, qui m’a fait naître un doute : je ne sais si l’usage veut qu’on dise écraser des étincelles ; j’ai cru qu’il fallait dire éteindre ou étouffer[2] des étincelles.

Souvenez-vous, je vous prie, de ce beau vers :

Et vers la vérité le doute les conduit.

(Henriade, ch. VII, v. 376.)

Toujours sais-je bien que mes sens sont affectés d’une manière bien plus aimable par vos magnifiques vers de vos Musulmans que par les massacres que ces barbares font, à Belgrade, de nos pauvres Allemands.

Quand, de soufre enflammes, deux nuages affreux.
Obscurcissant les cieux et menaçant la terre,
Agités par les vents dans leur cours orageux.
De leurs flancs entr’ouverts vomissant le tonnerre,
D’un choc impétueux se frappent dans les airs.
Semblent nous abîmer aux gouffres des enfers,
La nature frémit ; ce bruit épouvantable
Paraît dans le chaos plonger les éléments,
Et du monde ébranlé les fondements durables
Craignent, en tressaillant, pour ses derniers moments.

  1. Cette lettre a été perdue.
  2. Voltaire a fait la correction proposée par le prince ; voyez tome IV, page 107.