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me dédommagera de ce que je n’y trouverai pas. On dit qu’on y reçoit assez bien les étrangers qui voyagent : nous y serons un mois, tout au plus ; après quoi je retourne à la suite d’un procès triste et long, mais à la suite de l’amitié, qui rend tout agréable. Je ne sais pas encore où je logerai ; mais, quel que soit le baigneur ou le cabaret qui hébergera mon ambulante personne, j’ai lieu de croire que rien ne m’aura privé de la douceur d’être aimé de vous.


1192. — À. MADAME DE CHAMFBONIN[1].
De Cambrai.

Mon cher gros chat est dans sa gouttière, et nous courons les champs. Nous voici à Cambrai, marchant à petites journées. Nous n’avons pas trouvé la moindre petite fête sur la route. Nous sommes traités en médecins de village, qu’on envoie chercher en carrosse, et qu’on laisse retourner à pied. Si vous me demandez pourquoi nous allons à Paris, je ne peux vous répondre que de moi. J’y vais parce que je suis Émilie. Mais pourquoi Émilie y va-t-elle ? je ne le sais pas trop. Elle prétend que cela est nécessaire, et je suis destiné à la croire comme à la suivre. Vous jugez bien que la première chose que je ferai sera de voir monsieur votre fils. Mais pourquoi la mère n’y serait-elle pas ? pourquoi n’aurions-nous pas le plaisir de nous voir rassemblés ? Voici une belle occasion pour quitter sa gouttière. On ne vous soupçonnera point d’être venue à Paris pour les feux d’artifice[2]. On sait assez que vous ne faites de ces voyages-là que pour vos amis. Où êtes-vous à présent, cher gros chat ? Ètes-vous à la Neuville ? Y renouez-vous les nœuds d’une ancienne amitié, et Mme de La Neuville jouit-elle un peu de l’interrègne ? Elle sera trop heureuse de vous avoir retrouvée ; mais nous aurons notre tour, et nous espérons toujours revoir Cirey avant d’habiter le palais de la pointe de l’Ile. Nous les verrons bien tard, ce Cirey et ce Champbonin. Hélas ! nous avons acheté des meubles à Bruxelles ; c’est la transmigration de Babylone. Je ne suis pas trop content de mon séjour dans ce pays-là. Je me suis ruiné ; et, pour dernier trait, les commis de la douane ont saisi des tableaux qui m’ap-

  1. Cette lettre a toujours été classée au mois de janvier 1743, et les éditeurs l’y ont laissée, tout en déclarant que cette place ne lui convenait guère. Nous avons cru devoir la placer au mois d’août 1739.
  2. À l’occasion du mariage de la fille de Louis XV avec l’infant d’Espagne, le 26 août.