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Mme du Châtelet, aussi enchantée que moi, vous louera bien mieux.


1187. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Kônigsberg, 9 août[1].

Sublime auteur, ami charmant,
Vous dont la source intarissable
Nous fournit si diligemment
De ce fruit rare, inestimable.
Que votre muse hardiment,
Dans un séjour peu favorable,
Fait éclore à chaque moment ;

Au fond de la Lithuanie,
J’ai vu paraître, tout brillant,
Ce rayon[2] de votre génie
Qui confond, dans la tragédie,
Le fanatisme, en se jouant.

J’ai vu de la philosophie,
J’ai vu le baron[3] voyageur,
Et j’ai vu la pièce accomplie.
Où les ouvrages et la Vie[4]
De Molière vous font honneur.

À la France, votre patrie,
Voltaire, daignez épargner
Les frais que pour l’Académie
Sa main a voulu destiner.

En effet, je suis sûr que ces quarante têtes, qui sont payées pour penser, et dont l’emploi est d’écrire, ne travaillent pas la moitié autant que vous. Je suis certain que, si l’on pouvait apprécier la valeur des pensées, toutes celles de cette nombreuse société, prises ensemble, ne tiendraient pas l’équilibre aux vôtres. Les sciences sont pour tout le monde, mais l’art de penser est le don le plus rare de la nature.

Cet art fut banni de l’école,
Des pédants il est inconnu.
Par l’Inquisition frivole
L’usage en serait défendu.
Si le pouvoir saint de l’étole
S’était à ce point étendu.
Du vulgaire la troupe folle
À penser juste a prétendu ;

  1. La réponse de Voltaire est la lettre 1200.
  2. Le premier acte du Fanatisme.
  3. Le baron de Gangan.
  4. Ouvrage cité à la fin de la lettre précédente.