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mais c’est bien rarement dans ce petit nombre qu’on choisit les dispensateurs de l’autorité royale, et les chefs de la nation. Un fripon, de la lie du peuple[1] et de la lie des êtres pensants, qui n’a d’esprit que ce qu’il en faut pour nouer des intrigues subalternes et pour obtenir des lettres de cachet, ignorant et haïssant les lois, patelin et fourbe, voilà celui qui réussit, parce qu’il entre par la chatière ; et l’homme digne de gouverner vieillit dans des honneurs inutiles.

Ce n’était pas à Bruxelles, c’était à Compiègne qu’il fallait que votre livre fût lu. Quand il n’y aurait que cette seule définition-ci, elle suffirait à un roi : « Un parfait gouvernement est celui où toutes les parties sont également protégées. » Que j’aime cela ! « Les savantes recherches sur le droit public ne sont que l’histoire des anciens abus. » Que cela est vrai ! Eh ! qu’importe à notre bonheur de savoir les Capitulaires de Charlemagne ? Pour moi, ce qui m’a dégoûté de la profession d’avocat, c’est la profusion de choses inutiles dont on voulut charger ma cervelle : Au fait ! est ma devise.

Que ce que vous dites sur la Pologne[2] me plaît encore ! J’ai toujours regardé la Pologne comme un beau sujet de harangue, et comme un gouvernement misérable : car, avec tous ses beaux privilèges, qu’est-ce qu’un pays où les nobles sont sans discipline, le roi un zéro, le peuple abruti par l’esclavage, et où l’on n’a d’argent que celui qu’on gagne à vendre sa voix ? Je vous ai déjà parlé, je crois, de la vieille barbarie du gouvernement féodal.

Votre article sur la Toscane[3] : Ils viennent de tomber entre les mains des Allemands, etc., est bien d’un homme amoureux du bonheur public ; et je dirai avec vous :

Barbarus has segetes ! · · · · · · · · · · · · · · ·

(Virg., ecl. I, v. 72.)

Je suis fâché de ne pouvoir relire tout le livre, pour marquer toutes les beautés de détail qui m’ont frappé, indépendamment de la sage économie et de l’enchaînement de principes qui en fait le mérite.

  1. C’est probablement René Hérault, lieutenant général de police, que Voltaire désigne ici. Le père de René se nommait Louis Hérault ; c’était un riche marchand de bois, natif de Rouen, qui fut taxé, comme traitant, à 200,000 livres en 1716. Voyez la Vie privée de Louis XV, par Moufle d’Angerville, vol. I, page 165. Le Dictionnaire de la noblesse fait remonter l’origine des Hérault à 1739. (Cl.)
  2. Article 6 du chapitre sur des Considérations.
  3. Article 17 du même chapitre.