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hommes, l’abondance et le commerce, dans cette contrée qui avait perdu jusqu’à la forme d’un pays.

Depuis ce temps-là il n’est aucune dépense que le roi n’ait faite pour réussir dans ses vues salutaires. Il fit d’abord des règlements remplis de sagesse ; il rebâtit tout ce que la peste avait désolé ; il fit venir des milliers de familles de tous les côtés de l’Europe. Les terres se défrichèrent, le pays se repeupla, le commerce fleurit de nouveau, et à présent l’abondance règne dans cette fertile contrée plus que jamais.

Il y a plus d’un demi-million d’habitants dans la Lithuanie ; il y a plus de villes qu’il n’y en avait, plus de troupeaux qu’autrefois, plus de richesses et plus de fécondité qu’en aucun endroit de l’Allemagne. Et tout ce que je viens de vous dire n’est dû qu’au roi, qui non-seulement a ordonné, mais qui a présidé lui-même à l’exécution, qui a conçu les desseins, et qui les a remplis lui seul ; qui n’a épargné ni soins, ni peines, ni trésors immenses, ni promesses, ni récompenses, pour assurer le bonheur et la vie à un demi-million d’êtres pensants, qui ne doivent qu’à lui seul leur félicité et leur établissement.

J’espère que vous ne serez point fâché du détail que je vous fais. Votre humanité doit s’étendre sur vos frères lithuaniens comme sur vos frères français, anglais, allemands, etc., et d’autant plus qu’à mon grand étonnement j’ai passé par des villages où l’on n’entend parler que français.

J’ai trouvé je ne sais quoi de si héroïque dans la manière généreuse et laborieuse dont le roi s’y est pris pour rendre ce désert habité, fertile et heureux, qu’il m’a paru que vous sentiriez les mêmes sentiments[1] en apprenant les circonstances de ce rétablissement.

J’attends tous les jours de vos nouvelles d’Enghien. J’espère que vous y jouirez d’un repos parfait, et que l’ennui, ce dieu lourd et pesant, n’osera point passer par les bras d’Émilie pour aller jusqu’à vous. Ne m’oubliez point, mon cher ami, et soyez persuadé que mon éloignement ne fait qu’augmenter l’impatience de vous voir et de vous embrasser. Adieu.

Fédéric.

Mes compliments à la marquise et au duc[2] qu’Apollon dispute à Bacchus.


1186. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON.
À Bruxelles, 28 juillet.

Monsieur, un Suisse, passant par Bruxelles pour aller à Paris, était désigné pour être dépositaire du plus instructif et du meilleur ouvrage[3] que j’aie lu depuis vingt ans ; mais la crainte de

  1. Voltaire dit, dans ses Memoires, que Frédéric-Guiliaume Ier était un véritable Vandale, et il parle du même roi, dans sa lettre du 31 octobre 1740 au président Hénault, comme d’un ogre couronné.
  2. Le duc d’Aremberg ; voyez lettre 1171.
  3. Les Considérations, dont il est parlé dans les lettres 1157, 1166 et 1170.