Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sottises ; j’aurai l’honneur de vous la présenter. Toutes mes pièces sont corrigées ; vous trouverez dans Œdipe :

Entre un pontife et vous je ne balance pas ;
Un prêtre, quel qu’il soit, quelque dieu qui l’inspire.
Doit prier pour son prince, et jamais le maudire, etc.

Je vous supplierai bien un jour de faire jouer mes pièces selon la nouvelle leçon.

Voulez-vous bien assurer M. de Pont-de-Veyle de la tendre et respectueuse estime que j’aurai pour lui toute ma vie ? C’est avec les mêmes sentiments, mademoiselle, que je vous suis attaché. V.

Mme du Châtelet vous embrasse et vous regarde comme la personne de France qui a le plus de goût.


1185. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Insterbourg, 27 juillet.

Mon cher ami, nous voici enfin arrivés, après trois semaines de marche, dans un pays que je regarde comme le non plus ultra du monde civilisé. C’est une province peu connue de l’Europe, mais qui mériterait cependant de l’être davantage, parce qu’elle peut être regardée comme une création du roi mon père.

La Lithuanie prussienne est un duché qui a trente grandes lieues d’Allemagne de long, sur vingt de large, quoiqu’il aille en se rétrécissant du côté de la Samogitie. Cette province fut ravagée par la peste, au commencement de ce siècle, et plus de trois cent mille habitants périrent de maladie et de misère. La cour, peu instruite des malheurs du peuple, négligea de secourir une riche et fertile province, remplie d’habitants, et féconde en toute espèce de productions. La maladie emporta les peuples ; les champs restèrent incultes, et se hérissèrent de broussailles. Les bestiaux ne furent point exempts de la calamité publique. En un mot, la plus florissante de nos provinces fut changée en la plus affreuse des solitudes.

Frédéric 1er mourut sur ces entrefaites, et fut enseveli avec sa fausse grandeur, qu’il ne faisait consister qu’en une vaine pompe, et dans l’étalage fastueux de cérémonies frivoles.

Mon père, qui lui succéda[1] fut touché de la misère publique. Il vint ici sur les lieux, et vit lui-même cette vaste contrée dévastée, avec toutes les affreuses traces qu’une maladie contagieuse, la disette, et l’avarice sordide des ministres, laissent après eux. Douze ou quinze villes dépeuplées, et quatre ou cinq cents villages inhabités et incultes, furent le triste spectacle qui s’offrit à ses yeux. Bien loin de se rebuter par des objets aussi fâcheux, il se sentit pénétré de la plus vive compassion, et résolut de rétablir les

  1. Le 25 février 1713.