Pour servir, sans doute, au bûcher
Du plus infortuné cocher
Ouc jamais les dieux renversèrent.
Ces dieux renversent tous les jours de ces cochers qui se mêlent de nous conduire, et ils trouvent rarement des amis qui les pleurent. À notre retour d’Enghien, à peine arrivons-nous à Bruxelles qu’une nouvelle consolation m’arrive encore, et je reçois, par la voie d’Amsterdam, une lettre du 7 juillet, de Votre Altesse royale. Il paraît qu’elle connaît le pays où je suis. J’y vois beaucoup de princes et peu d’hommes, c’est-à-dire d’hommes pensants et instruits.
Que vont donc devenir, monseigneur, dans votre ville de Berlin, ces sciences que vous encouragez, et à qui vous faites tant d’honneur ? Qui remplacera M. de La Croze ? Ce sera sans doute M. Jordan ; il me semble qu’il est dans le vrai chemin de la grande érudition. Après tout, monseigneur, il y aura toujours des savants ; mais les hommes de génie, les hommes qui, en communiquant leur âme, rendent savants les autres ; ces fils aînés de Prométhée, qui s’en vont distribuant le feu céleste à des masses mal organisées, il y en aura toujours très-peu, dans quelque pays que ce puisse être. La marquise jette à présent tout son feu sur ce triste procès qui lui a fait quitter sa douce solitude de Cirey ; et moi, je réunis mes petites étincelles pour former quelque chose de neuf qui puisse plaire au moderne Marc-Aurèle.
Je prends donc la liberté de lui envoyer ce premier acte d’une tragédie[1] qui me paraît, sinon dans un bon goût, au moins dans un goût nouveau. On n’avait jamais mis sur le théâtre la superstition et le fanatisme. Si cet essai ne déplaît pas à mon juge, il aura le reste, acte par acte.
Je comptais avoir l’honneur de lui envoyer ce commencement par M. de Valori[2], qui va résider auprès de Sa Majesté. Il est digne, à ce qu’on dit, d’avoir l’honneur de dîner avec le père, et de souper avec le fils[3]. Je l’attends de jour en jour à Bruxelles ; j’espère que ce sera un nouveau protecteur que j’aurai auprès de Votre Altesse royale. Les mille milles d’Allemagne qu’elle va faire[4] retarderont un