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habent[1] ; et, quand j’ai passé trois mois dans les épines des mathématiques, je suis fort aise de retrouver des fleurs.

Je trouve même fort mauvais que le Père Castel ait dit, dans un extrait des Éléments de Newton, que je passais du frivole au solide. S’il savait ce que c’est que le travail d’une tragédie et d’un poëme épique, si sciret donum Dei[2], il n’aurait pas lâché cette parole. La Henriade m’a coûté dix ans ; les Éléments de Newton m’ont coûté six mois, et ce qu’il y a de pis c’est que la Henriade n’est pas encore faite : j’y travaille encore quand le dieu qui me l’a fait faire m’ordonne de la corriger ; car, comme vous savez :

Est deus in nobis ; agitante calescimus illo.

(Ovid., Fast., lib. VI, v. 5.)


Et, pour vous prouver que je sacrifie encore aux autels de ce dieu, c’est que M. Thieriot doit vous faire lire une Mèrope de ma façon, une tragédie française, où, sans amour, sans le secours

de la religion, une mère fournit cinq actes entiers. Je vous prie de m’en dire votre sentiment tout aussi naïvement que vous l’avez dit à Rousseau sur les Aïeux chimériques.

Je sais que non-seulement vous m’aimez, mais que vous aimez la gloire des lettres et celle de votre siècle. Vous êtes bien loin de ressembler à tant d’académiciens, soit de votre tripot, soit de celui des Inscriptions, qui, n’ayant jamais rien produit, sont les mortels ennemis de tout homme de génie et de talent, qui se donneront bien de garde d’avouer que, de leur vivant, la France a eu un poète épique, qui loueront jusqu’à Camoëns pour me rabaisser, et qui, me lisant en secret, affecteront en public de garder le silence sur ce qu’ils estiment malgré eux. Peut-être

· · · · · · · · · · · · · · · Exstinctus amabitur idem.

(Hor., lib. II, ep. i, v. 14.)


Vous êtes trop au-dessus de ces lâches cabales formées par les esprits médiocres ; vous encouragez trop les arts par vos excellents préceptes pour ne pas chérir un homme qui a été formé par eux. Je ne sais pourquoi vous m’appelez pauvre ermite ; si vous aviez vu mon ermitage, tous seriez bien loin de me plaindre. Gardez-vous de confondre le tonneau de Diogène avec le palais

  1. Ecclésiaste, iii, 1.
  2. Jean, iv, 10.