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Je connais l’ouvrage fanatique du petit jésuite[1] contre Bayle. Vous faites très-bien de le réfuter et de confondre les bavards syllogismes d’un autre vieux pédant. Il est bon de faire voir que les honnêtes gens ne sont pas gouvernés par ces pédagogues raisonneurs, éternels ennemis de la raison. Mais je vous prie de bien distinguer entre les disciples d’un grand homme qui trouvent des fautes dans celui qu’ils aiment, et des ennemis jurés qui voudraient ruiner à la fois la réputation du philosophe et la bonne philosophie, Ne confondez donc pas celui qui trouve que Raphaël manque de coloris, et celui qui brûle ses tableaux.

Ce mot brûler me rappelle toujours Desfontaines. Vous savez peut-être que, par surcroît de reconnaissance, il avait fait contre moi, ou plutôt contre lui, un libelle affreux[2], il y a quelques mois. Il niait dans ce libelle jusqu’à l’obligation qu’il m’a de n’avoir pas été brûlé vif, et il y ajoutait les plus infâmes calomnies. Tout le public, révolté contre ce misérable, voulait que je le poursuivisse en justice ; mais je n’ai pas voulu perdre mon repos, et quitter mes amis pour faire punir un coquin. M, Hérault a pris ma défense, que j’abandonnais, l’a fait comparaître à la police, et, après l’avoir menacé du cachot, lui a fait signer la rétractation que vous avez pu voir dans les papiers publics.

Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse avec le plaisir d’un homme qui voit d’aussi beaux talents que les vôtres consacrés aux belles-lettres, et avec l’espérance que les petites fautes de la jeunesse ne vous empêcheront point de jouir du sort heureux que vous méritez.


1170. — À M. LE MARQUIS D’ARGENSON.
À Bruxelles, ce 21 juin.

Je viens, monsieur, de lire un ouvrage[3] qui m’a consolé de la foule des mauvais dont on nous inonde. Vous m’avez fait bien des plaisirs ; mais voici le plus grand de vos bienfaits. Il ne s’agit pas ici de vous louer ; je suis trop pénétré pour y songer. Je ne crains que d’être trop prévenu en faveur d’un ouvrage où je retrouve la plupart de mes idées. Vous m’avez défendu de vous donner des louanges, mais vous ne m’avez pas défendu de m’en donner. Je vais donc me donner, à moi, de grands coups d’en-

  1. Jean Le Febure, ou Le Febvre, mort à Valenciennes en 1755. Son ouvrage est intitulé Bayle en petit, ou Anatomie de ses ouvrages ; Douai, 1737, in-12.
  2. La Voltairomanie.
  3. Les Considérations, dont il est parlé dans la lettre 1157.