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Voilà ce que j’en ai dit dans une Èpitre sur l’Envie[1], que je vous enverrai si vous voulez.

Quel a donc été mon but en réduisant en un seul tome le bel esprit de Bayle ? De faire sentir ce qu’il pensait lui-même, ce qu’il a dit et écrit à M. Desmaiseaux, ce que j’ai vu de sa main ; qu’il aurait écrit moins s’il eût été le maître de son temps. En effet, quand il s’agit simplement de goût, il faut écarter tout ce qui est inutile, écrit lâchement et d’une manière vague.

Il ne s’agit pas d’examiner si les articles de deux cents professeurs plaisent aux gens du monde ou non, mais de voir que Bayle, écrivant si rapidement sur tant d’objets différents, n’a jamais châtié son style. Il faut qu’un écrivain tel que lui se garde du style étudié et trop peigné ; mais une négligence continuelle n’est pas tolérable dans des ouvrages sérieux. Il faut écrire dans le goût de Cicéron, qui n’aurait jamais dit qu’Abèlard s’amusait à tâtonner[2] Héloïse, en lui apprenant le latin. De pareilles choses sont du ressort du goût, et Bayle est trop souvent répréhensible en cela, quoique admirable d’ailleurs. Nul homme n’est sans défaut ; le dieu du goût remarque jusqu’aux petites fautes échappées à Racine, et c’est cette attention même à les remarquer qui fait le plus d’honneur à ces grands hommes. Ce ne sont pas les grandes fautes des Boyer, des Danchet, des Pellegrin, ces fautes ignorées qu’il faut relever, mais les petites fautes des grands écrivains : car ils sont nos modèles, et il faut craindre de ne leur ressembler que par leur mauvais côté.

Je vais chercher ici vos Mémoires de la république des lettres, et tous vos ouvrages. Les cérémonies par lesquelles on passe en France, avant de pouvoir avoir dans sa bibliothèque un livre de Hollande, sont terribles. Il est aussi difficile de faire venir certains bons livres que d’arrêter l’inondation des mauvais qu’on imprime à Paris, avec approbation et privilège.

On m’a mandé qu’un jésuite, nommé Brumoi, a fait imprimer un certain Tamerlan[3] d’un certain jésuite nommé Margat. L’auteur est mort, et l’éditeur exilé, à ce qu’on dit, parce que ce Tamerlan est, dit-on, plein des plus horribles calomnies qu’on ait jamais vomies contre feu M. le duc d’Orléans, régent du royaume.

  1. Voyez le troisième Discours sur l’Homme.
  2. Dictionnaire historique de Bayle, article Abélard. Voyez ce que Voltaire dit dans les Conseils à un journaliste (tome XXII, page 263).
  3. Histoire de Tamerlan, empereur des Mogols, par le Père de Margat ; Paris, 1739, 2 vol. in-12.