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que comme on se délasse d’un travail sérieux avec les bouffonneries d’Arlequin. Le véritable ennemi de Machiavel aura-t-il quelques moments pour voyager avec ce baron de Gangan ? Il y verra au moins un petit article[1] plein de vérité sur les choses de la terre. Je compte vous présenter bientôt un autre tribut de bagatelles poétiques, car je me tiens comptable de mon temps à mon vrai souverain. Les biens des sujets appartiennent, dit-on, aux autres rois ; mon cœur et mes moments appartiennent au mien. Mme du Châtelet, son autre sujette, et plus digne ornement de sa cour, lui présente ses respects, selon la permission qu’il nous en a donnée. Elle ne fera ici que plaider ; elle trouvera peu de personnes à qui elle puisse parler de philosophie. Les arts n’habitent pas plus à Bruxelles que les plaisirs. Une vie retirée et douce est ici le partage de presque tous les particuliers ; mais cette vie douce ressemble si fort à l’ennui, qu’on s’y méprend très-aisément. L’ennui n’approchera point d’une maison qu’Émilie habite, et qui est honorée des lettres de notre prince. Nous sommes dans le quartier le plus retiré, dans la rue de la Grosse-Tour, C’est là que nous nous entretenons tous les jours de ce prince, qui sera l’amour de la terre comme il est le nôtre ; et de M. le baron de Keyserlingk, si digne de lui plaire et de le voir ; et du savant M. Jordan, à qui je porte envie.

Je suis avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance, monseigneur, de Votre Altesse royale, le très-humble, etc.



1168. — À M. BERGER.
Bruxelles, le 17 juin.

J’ai fait mille tours ; je suis à présent fixé à Bruxelles, et réformé à la suite d’un procès.

Rien ne peut mieux, mon cher monsieur, égayer l’ennui de la chicane que vos agréables lettres. Les nouvelles de Paris en deviennent plus intéressantes quand elles passent par vos mains. Ma vie est ici aussi uniforme et aussi tranquille qu’elle l’était à Cirey, à cela près qu’on y parle beaucoup moins de Rousseau, qui ne se montre nulle part, et dont on ne m’a pas prononcé le

    l’un des éditeurs de Kehl, a cru pendant un temps qu’il s’agissait de Micromégas ; mais il avait abandonné cette idée. Beuchot a mentionné le Voyage de Gangan dans l’avertissement placé en tâte des romans de Voltaire ; voyez tome XXI, page vii.

  1. Dans Micromégas on ne trouve aucune trace de ce petit article qui concernait Frédéric.