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laquelle il faut créer, conduire, intriguer, et dénouer une action intéressante : ouvrage d’autant plus difficile que les sujets sont plus rares, et qu’il demande une plus grande connaissance du cœur humain. Il est vrai que, puisque ce spectacle est représenté et vu par des hommes et par des femmes, il faut absolument de l’amour. On peut s’en sauver tristement une ou deux fois, mais

Naturam expellas furca, tamen ipsa redibit.

(Hor., lib. I, ep. x, v. 24.)

Que diront de jeunes actrices ? qu’entendront de jeunes femmes, s’il n’est pas question d’amour ? On joue souvent Zaïre, parce qu’elle est tendre ; on ne joue point Brutus, parce que cette pièce n’est que forte.

Ne croyez pas que ce soit Racine qui ait introduit cette passion au théâtre ; c’est lui qui l’a le mieux traitée, mais c’est Corneille qui en a toujours défiguré ses ouvrages. Il n’a presque jamais parlé d’amour qu’en déclamateur, et Racine en a parlé en homme.

Promettez-moi un secret de ministre, et j’aurai l’honneur d’envoyer à Lisbonne plus d’une tragédie, à condition que vous leur donnerez la préférence sur les odes.

Nous n’avons point encore reçu l’essai politique[1] dont vous nous favorisez. Il faut le faire adresser à Bruxelles, et il nous sera fidèlement rendu chez nos Algonquins.

Vous avez grande raison, monsieur, sur notre récitatif. On peut faire de la symphonie italienne, on le doit même ; mais on ne doit déclamer à Paris qu’en français, et le récitatif est une déclamation. C’est presque toujours, au reste, la faute du poète, quand le récitatif ne vaut rien : car peut-on bien déclamer de mauvaises paroles ?

J’avais fait, il y a quelques années[2], des paroles pour Rameau, qui probablement n’étaient pas trop bonnes, et qui d’ailleurs parurent à de grands ministres avoir le défaut de mêler le sacré avec le profane. J’ose croire encore que, malgré le faible des paroles, cet opéra était le chef-d’œuvre de Rameau. Il y avait surtout un certain contraste de guerriers qui venaient présenter des armes à Samson, et de p… qui le retenaient, lequel faisait

  1. Il s’agit probablement de l’Essai de l’exercice du tribunal européen pour la France seule, qui, dans l’édition de 1765, termine les Considérations.
  2. En 1731 et 1732. Voyez les lettres 233 et 243.