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dit que cet homme a plus d’une intelligence unie à son corps, et que lui seul fait toute une académie. Ah ! qu’on se sentirait tenté de se plaindre de son sort, lorsqu’on réfléchit sur le partage inégal des talents qui nous sont échus ! On me parlerait en vain de l’égalité des conditions ; je soutiendrai toujours qu’il y a une différence infinie entre cet homme universel dont je viens de parler, et le reste des mortels.

Ce me serait une grande consolation, à la vérité, de le connaitre ; mais nos destins nous conduisent par des routes si différentes qu’il paraît que nous sommes destinés à nous fuir.

Vous m’envoyez des vers pour la nourriture de mon esprit, et je vous envoie des recettes pour la convalescence de votre corps. Elles sont d’un très-habile médecin que j’ai consulté sur votre santé ; il m’assure qu’il ne désespère point de vous guérir ; servez-vous de ses remèdes, car j’ai l’espérance que vous vous en trouverez soulagé.

Comme cette lettre vous trouvera, selon toutes les apparences, à Bruxelles, je peux vous parler plus librement sur le sujet de Son Éminence[1] et de toute votre patrie. Je suis indigné du peu d’égard qu’on a pour vous, et je m’emploierai volontiers pour vous procurer du moins quelque repos. Le marquis de La Chétardie, à qui j’avais écrit, est malheureusement parti de Paris ; mais je trouverai bien le moyen de faire insinuer au cardinal ce qui est bon qu’il sache, au sujet d’un homme que j’aime et que j’estime.

Le vin de Hongrie et l’ambre partiront dès que je saurai si c’est à Bruxelles que vous fixerez votre étoile errante et la chicane. Mon marchand de vin, Honi[2], vous rendra cette lettre ; mais, lorsque vous voudrez me répondre, je vous prie d’adresser vos lettres au général Borcke, à Vesel.

Le cher Césarion, qui est ici présent, ne peut s’empêcher de vous réitérer tout ce que l’estime et l’amitié lui font sentir sur votre sujet.

Vous marquerez bien à la marquise jusqu’à quel point j’admire l’auteur de l’Essai sur le Feu, et combien j’estime l’amie de M. de Voltaire.

Je suis, avec ces sentiments que votre mérite arrache à tout le monde, et avec une amitié plus particulière encore, votre très-fidèle ami,

Fédéric.

1160. — DE FRÉDERIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Mai[3].

Mon cher ami, je n’ai qu’un moment à moi pour vous assurer de mon amitié, et pour vous prier de recevoir l’écritoire d’ambre et les bagatelles que je vous envoie. Ayez la bonté de donner l’autre boite, où il y a le jeu de quadrille, à la marquise. Nous sommes si occupés ici qu’à peine a-t-on le temps de respirer. Quinze jours me mettront en situation d’être plus prolixe.

  1. Le cardinal de Fleury.
  2. Voyez la lettre de Frédéric II à Voltaire, du 5 septembre 1740.
  3. Cette lettre, à laquelle répond la lettre 1180, doit être du 22 ou du 23 mai, Mathurin Veyssière de La Croze, qui y est cité, étant mort le 24 mai 1739.