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1158. — À M. LE LIEUTENANT GENERAL DE POLICE[1]

Je comptais passer par Paris, comme j’avais eu l’honneur de vous le mander ; mais les affaires des personnes avec qui j’ai l’honneur de vivre sont si pressantes qu’il faut nécessairement aller en Flandre. Je me flatte qu’au moins, à mon retour, je pourrai avoir le plaisir de vous faire ma cour et de vous renouveler les assurances du respect et de la reconnaissance avec lesquels je serai toute ma vie, etc., etc.


1159. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Ruppin, 16 mai.

Mon cher ami, j’ai reçu deux de vos lettres[2] presque en même temps, et sur le point de mon départ pour Berlin, de façon que je ne puis répondre qu’en gros à toutes les deux.

Je vous ai une obligation infinie de ce que vous m’avez communiqué les changements que vous avez faits à la Henriade. Il n’y a que vous qui soyez supérieur à vous-même ; tous les changements que je viens de lire sont très-bons, et je ne cesse de m’étonner de la force que la langue française prend dans vos ouvrages. Si Virgile fût né citoyen de Paris, il n’aurait pu rien faire d’approchant du combat de Turenne. Il y a un feu, dans cette description, qui m’enlève. Avouez-nous la vérité ; vous y fûtes présent à ce combat, vous l’avez vu de vos yeux, et vous avez écrit sur vos tablettes chaque coup d’épée porté, reçu, et paré ; vous avez noté chacun des gestes des champions, et, par cette force supérieure qu’ont les grands génies, vous avez lu dans leurs cœurs ce que pensaient ces vaillants combattants.

Le Carrache n’eût pas mieux dessiné les attitudes difficiles de ce duel ; et Lebrun, avec tout son coloris, n’aurait assurément rien fait de semblable au petit portrait de la réfraction que fait l’aimable, le cher poëte philosophe.

L’endroit ajouté au chant septième est encore admirable, et très-propre à occuper une place dans l’édition que je fais préparer de la Henriade. Mais, mon cher Voltaire, ménagez la race des bigots, et craignez vos persécuteurs ; ce seul article est capable de vous faire des affaires de nouveau ; il n’y a rien de plus cruel que d’être soupçonné d’irréligion. On a beau faire tous les efforts imaginables pour sortir de ce blâme, cette accusation dure toujours ; j’en parle par expérience, et je m’aperçois qu’il faut être d’une circonspection extrême sur un article dont les sots font un point principal[3].

Vos vers sont conformes à la raison, ils doivent ainsi l’être à la vérité ; et c’est justement pourquoi les idiots et les stupides s’en formaliseront. Ne

  1. Éditeur, Léouzon Leduc.
  2. Les lettres 1090 et 1135.
  3. Voyez la lettre de Frédéric, du 14 mai 1737.