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désaveu du Préservatif, où, sans le qualifier de libelle, il dirait qu’il n’est point de lui, et l’a toujours soutenu ; qu’il a été très-fâché de cet ouvrage et surtout qu’on y ait inséré une lettre[1] de lui qui ne devait jamais être publique. Et l’abbé Desfontaines mettra, dans huit jours, son désaveu dans les Observations, où il insérera le mot de reconnaissance. Toutes les raisons pour lesquelles on l’en a exclu ne valent rien : car, comme il s’agit d’ingratitude, le mot de reconnaissance, est le fait. Ce que je propose là est non-seulement le nec plus ultra de mon crédit, mais aussi tout ce à quoi je puis consentir. Je vous avoue que j’ai, pour toute espèce de réciprocité avec ce scélérat, une si terrible répugnance qu’elle surpasse peut-être encore celle de votre ami. 3° Enfin, jamais je ne souffrirai qu’il signe un désaveu pur et simple du Préservatif, car il entraînerait tacitement celui d’une lettre qui est de lui, et qui contient des faits qu’il démontre vrais, papiers originaux sur table, et qu’enfin cette lettre forme le corps du délit contre Desfontaines au tribunal des honnêtes gens, puisqu’elle contient l’histoire de son ingratitude. Voici donc les deux points de mon sermon : 1° rompre tout à fait, qui est ce que j’aime le mieux, et 2° placer dans quelque ouvrage le désaveu du Préservatif, la lettre exceptée, et cela six semaines après que celui de Desfontaines aura paru. Il n’y en a pas un troisième ; et, si M. Hérault était assez injuste pour se fâcher, j’aimerais mieux que M. de Voltaire passât sa vie dans les pays étrangers que d’acheter par son déshonneur la permission de vivre dans un pays qui doit faire sa plus grande gloire de l’avoir produit. Je vous avoue, mon cher ami, et vous vous en apercevrez assez, que l’indignité de la conduite et des propos de certaines gens a poussé ma patience à bout, et que mon amitié extrême pour vous a besoin de toute sa force sur mon cœur pour me soumettre aux sages avis que vous me donnez, et pour ne pas conseiller les partis les plus violents ; mais

J’aime encor plus Cinna que je ne hais Auguste[2].

Je veux que votre ami et moi nous puissions vivre quelques jours avec vous au palais Lambert, qui est à présent l’hôtel du Châtelet.

J’écris les mêmes choses à M. d’Argenson et à M. du Châtelet.

Si notre ami se trouve dans la triste situation de déplaire à M. Hérault, ou de signer une chose honteuse, c’est par déférence pour vous qu’il s’y est mis : ainsi c’est à vous à l’en tirer.


1123. — À M. HELVETIUS.
Ce 2 avril.

Mon cher confrère en Apollon, mon maître en tout le reste, quand viendrez-vous voir la nymphe de Cirey et votre tendre

  1. La lettre à Maffei, qui forme le vingt-septième numéro du Préservatif, et où Voltaire raconte au poëte italien l’affaire de Bicêtre et l’ingratitude de Desfontaines ; voyez tome XXII, page 386.
  2. Corneille, Cinna, acte I, scène ii.