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1111. — À M. HELVETIUS.
À Cirey. 21 mars[1].

Ce que j’apprends est-il possible ? Belle âme, née pour faire plaisir, et qui agissez comme vous pensez, vous êtes allé, et vous avez encore retourné chez ce Saint-Hyacinthe ? Generose puer, ne profanez pas votre vertu avec ce monstre. C’en est trop, mon cœur est pénétré de vos soins. Si vous saviez ce que c’est que Saint-Hyacinthe, vous auriez eu horreur de lui parler. Je ne l’ai connu qu’en Angleterre, où je lui ai fait l’aumône : il la recevait de qui voulait ; il prenait jusqu’à un écu. Il s’était échappé de la Hollande, où il avait volé le libraire Catuffe, son beau-frère ; et il n’avait auprès de moi d’autre recommandation que de m’avoir déchiré dans plusieurs libelles. Il avait eu part au Journal littéraire[2], où il m’avait maltraité, mais je l’ignorais, et il se donnait pour l’auteur du Mathanasius[3] : ce qui faisait que je lui pardonnais ses anciens péchés. Se faire honneur du Mathanasius, qui était de MM. de Sallengre et S’Gravesande, etc., était la moindre de ses fourberies. Il se servit à Londres de l’argent de mes charités, et de celui que je lui avais procuré, pour imprimer un libelle[4] contre la Henriade ; enfin mon laquais le surprit me volant des livres, et le chassa de chez moi avec quelques bourrades. Je ne l’ai jamais revu, jamais je n’ai proféré son nom. Je sais seulement qu’il a volé, en dernier lieu, feu Mme de Lambert[5], et que ses héritiers en savent des nouvelles. Enfin voilà l’homme qui, dans un libelle[6] impertinent et digne de la plus vile canaille, ose m’insulter avec tant d’horreur. C’est trop s’abaisser, mon cher ami, d’exiger une satisfaction d’un scélérat qui ne doit me satisfaire qu’une torche à la main ou sous le bâton. Évitez ce malheureux, qui souillerait l’air que vous respirez.

Je vous avoue que mon cœur est saisi quand je vois les belles-lettres déshonorées à ce point ; mais aussi que vous me consolez ! Venez donc à Cirey avant que nous partions pour la Flandre. J’espère qu’un jour nous nous reverrons tous dans le beau palais[7]

  1. On a cru jusqu’ici que cette lettre était du 21 janvier. C’est au mois de mars, selon nous, qu’elle appartient. (G. A.)
  2. 1713-1737.
  3. Il l’est effectivement.
  4. Lettres critiques sur la Henriade ; Londres, 1728.
  5. La marquise de Lambert, morte en 1733.
  6. La Déification d’Aristarchus Masso ; voyez la note 4, tome XXII. page 257.
  7. L’hôtel Lambert.