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au foyer d’un verre ardent, et à y mettre le bout de votre doigt. Il est bien vrai que cet être (quel qu’il soit) n’écbauffe pas toujours, et n’illumine pas toujours. La bouche ne parle pas, ne baise pas, et ne mange pas sans cesse ; cependant c’est avec la bouche seule qu’on mange, qu’on baise, et qu’on parle.

Serait-on bienvenu à nier ces attributs-là, sous prétexte qu’ils ne sont pas renfermés dans l’idée qu’un philosophe pourrait se faire d’une bouche ? Le feu contenu dans les corps n’éclaire pas toujours, sans doute ; mais mettez ce feu un peu plus en mouvement, et il vous éclairera ; rassemblez bien des rayons, et vous serez échauffé[1].

En un mot, on ne connaît les corps ni le reste que par leurs effets : or l’effet d’un corps lumineux est, je crois, d’éclairer et de brûler dans l’occasion.

2° Vous doutez de la propagation de la lumière ; doutez donc aussi de la propagation du son. M. Romer a vu, a fait voir, a démontré, et M. Bradley a redémontré, d’une manière encore plus admirable, que la lumière vient à nous en un temps que vous appellerez long ou court, comme il vous plaira : car il semble court, si vous considérez qu’en sept minutes et demie un rayon arrive du soleil à nous ; il paraît long, si vous faites attention que la lumière arrive en trente-six ans au moins d’une étoile de la sixième grandeur. Il n’y a rien de long, rien de court, rien de grand, rien de petit en soi, comme vous savez[2].

3° Toutes les observations de Bradley font connaître que la lumière n’est aucunement retardée dans son cours d’une étoile à nous. Vous conclurez de là s’il est possible qu’il y ait un plein absolu : car assurément ce sont des conclusions qu’il ne faut tirer que d’après le calcul et l’expérience. Un vrai newtonien ne fait pas la plus petite supposition, et il n’en faut jamais faire.

4° Mais comment le soleil envoie-t-il tant de lumière sans s’épuiser, et comment votre cerveau produit-il tant d’idées sans les perdre, et n’en est même que plus lumineux ? Moi ! que je vous dise comment cela se fait, monsieur ? Dieu m’en garde ! je n’en sais rien, ni moi, ni personne. Je sais que la lumière arrive en un temps calculé ; que les rayons, venant d’environ 33 millions de lieues, sont presque parallèles ; que je fonds du plomb

  1. Voici une idée de Voltaire qui semble être un pressentiment de celles qu’on a aujourd’hui sur la lumière et la chaleur. ( D.)
  2. Voltaire ne pouvait avoir que des présomptions sur la distance des étoiles à la terre. (D.)