je prends la liberté de vous envoyer la copie de ce que j’insère sur votre illustre père dans mon Histoire de Charles XII, qu’on réimprime actuellement, et je ne l’enverrai en Hollande que quand j’aurai appris d’un de vos secrétaires que vous m’en donnez la permission.
Je trouve dans l’Histoire ottomane écrite par le prince Demetrius Cantemir[1], ce que je vois avec douleur dans toutes les histoires : elles sont les annales des crimes du genre humain ; je vous avoue surtout que le gouvernement turc me paraît absurde et affreux. Je félicite votre maison d’avoir quitté ces barbares en faveur de Pierre le Grand, qui cherchait au moins à extirper la barbarie, et j’espère que ceux de votre sang qui sont en Moscovie serviront à y faire fleurir les arts que toute votre maison semble cultiver ; vous n’avez pas peu contribué sans doute à introduire la politesse qui s’établit chez ces peuples, et vous leur avez fait plus de bien que vous n’en avez reçu. Ne serait-ce pas trop abuser de vos bontés, monseigneur, que d’oser prendre la liberté de vous faire quelques questions sur ce vaste empire, qui joue actuellement un si beau rôle dans l’Europe et dont vous augmentez la gloire parmi nous ?
On me mande que la Russie est trente fois moins peuplée qu’elle ne l’était il y a sept ou huit cents ans. On m’écrit qu’il n’y a qu’environ cinq cent mille gentilshommes, dix millions d’hommes payant la taille, en comptant les femmes et les enfants ; environ cent cinquante mille ecclésiastiques ; et c’est en ce dernier point que la Russie diffère de bien d’autres pays de l’Europe, où il y a plus de prêtres que de nobles ; on m’assure que les Cosaques de l’Ukraine, du Don, etc., ne montent avec leurs familles qu’à huit cent mille âmes, et qu’enfin il n’y a pas plus
- ↑ Histoire de l’agrandissement et de la décadence de l’empire ottoman. L’original latin est demeuré manuscrit ; il fut traduit pour la première fois en anglais par Nicolas Tindal (Londres, 1734 ; 2 vol. in-folio). De Jonquières l’a traduit en français sur la version anglaise (Paris, 1743, in-folio), et, deux ans plus tard Schmidt l’a traduit en allemand (Hambourg, 174.5, in-4o ). C’est donc la traduction anglaise que Voltaire avait entre les mains en 1739, à moins que le prince Antiochus Cantemir ne lui eût confié le manuscrit original latin, ce que nous serions tenté de croire a l’empressement avec lequel Voltaire achève sa lecture, au soin qu’il prend de le retourner exactement à son propriétaire, et aux précautions dont il use pour que le précieux volume ne s’égare pas (vovez la lettre du 19 avril) On trouve dans la préface placée en tête de l’Histoire de Charles XII, édition de 1751 un passage où il est question de l’Histoire ottomane du prince Cantemir : « Consultez, y est-il dit, les véritables annales turques recueillies par le prince Cantemir, vous verrez combien ces mensonges sont ridicules… Ce passage, omis dans toutes les éditions suivantes, a été rétabli dans l’édition Beuchot.