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ai pardonnes avec une bonté que vous pouvez appeler faiblesse. Non-seulement il avait mangé tout l’argent des souscriptions[1] qu’il avait en dépôt, non-seulement j’avais payé du mien et remboursé tous les souscripteurs petit à petit ; mais il me laissait tranquillement accuser d’infidélité sur cet article, et il jouissait du fruit de sa lâcheté et de mon silence. Le comble à cette infâme conduite est d’avoir ménagé Desfontaines, dont il avait été outragé, et qu’il craignait, afin de me laisser accabler, moi, qu’il ne craignait pas. Ce que j’ai éprouvé des hommes me met au désespoir, et j’en ai pleuré vingt fois, même en présence de celle qui doit arrêter toutes mes larmes. Mais enfin, mon respectable ami, vous qui me raccommodez avec la nature humaine, je cède au conseil sage que vous me donnez sur Thieriot. Il faut ne me plaindre qu’à vous, lui retirer insensiblement ma confiance, et ne jamais rompre avec éclat.

Mais, mon cher ami, qu’y a-t-il donc encore dans ce morceau de Rome[2], et dans le commencement de cet Essai, qui ne soit pas plus mesuré mille fois que Fra-Paolo, que le Traité du Droit ecclésiastique, que Mézerai, que tant d’autres écrits ? S’il y a encore quelques amputations à faire, vous n’avez qu’a dire ; ce morceau-là a déjà été bien tailladé, et le sera encore quand vous voudrez.

Je ne perds pas Zulime de vue, et mon respectable et judicieux conseil aura bientôt les écrits de son client.

Émilie vous regarde toujours comme notre sauveur[3].


1088. — À M. LÉVESQUE DE POUILLY[4].
À Cirey, le 27 levrier.

Mon cher Pouilly, je n’ai aucun droit sur monsieur votre frère[5] que celui de l’estime que je ne puis lui refuser ; mais j’en ai peut-être sur vous, parce que je vous aime tendrement depuis vingt années.

Les affaires deviennent quelquefois plus sérieuses et plus cruelles qu’on ne pense, M. de Saint-Hyacinthe m’outrage depuis

  1. Celles de la Henriade.
  2. Voyez le passage intitulé de Rome, dans le chapitre ii du Siècle de Louis XIV.
  3. À propos de l’affaire Desfontaines.
  4. Louis-Jean Lévesque de Pouilly, né à Reims en 1691, frère de Lévesque de Burigny auquel la lettre 1049 est adressée. Voyez la lettre 128, dans laquelle Pouilly est cité avec son autre frère Lévesque de Champeaux.
  5. Lévesque de Burigny.