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L’affreuse douleur qui la guide
Dans peu m’eût abîmé sous soi.
De maux carnassiers avidement rongée,
La trame de mes jours allait être abrégée,
Et la débile infirmité
Précipitait ma triste vie,
Hélas ! avec trop de furie,
Au gouffre de l’éternité.
Déjà la mort, qui sème l’épouvante,
Avec son attirail hideux.
Faisait briller sa faux tranchante,
Pour éblouir mes faibles yeux ;
Et ma pensée évanouie
Allait abandonner mon corps.
Je me voyais finir ; mes défaillants ressorts,
Du martyre souffrant la fureur inouïe.
Faisaient leurs derniers efforts.
L’ombre de la nuit éternelle
Dissipait à mes yeux la lumière du jour ;
L’espérance, toujours ma compagne fidèle.
Ne me laissait plus voir la plus faible étincelle
D’un espoir de retour.
Dans des tourments sans fin, d’une angoisse mortelle,
Je désirais l’instant qu’éteignant mon flambeau
La mort, assouvissant sa passion cruelle,
Me précipitât au tombeau.
C’est par vous, propice jeunesse,
Que plein de joie et d’allégresse,
Des tourments de la mort je suis sorti vainqueur.
Oui, cher Voltaire, je respire.
Oui, je respire encor pour vous,
Et des rives du sombre empire,
De notre attachement le souvenir si doux
Me transporta comme en délire
Chez Émilie auprès de vous.
Mais, revenant à moi, par un nouveau martyre.
Je reconnus l’erreur où me plongeaient mes sens.
Faut-il mourir ? disais-je ; ô vous, dieux tout-puissants !
Redoublez ma douleur amére,
Et redoublez mes maux cuisants ;
Mais ne permettez pas, fiers maîtres du tonnerre.
Que les destins impatients,
Jaloux de mon bonheur, m’arrachent de la terre
Avant que d’avoir vu Voltaire.

Ces quarante et quelques vers se réduisent à vous apprendre qu’une affreuse crampe d’estomac[1] faillit à vous priver, il y a deux jours, d’un ami qui vous est bien sincèrement attaché, et qui vous estime on ne saurait davantage. Ma jeunesse m’a sauvé : les charlatans disent que c’est leur médecine, et, pour moi, je crois que c’est l’impatience de vous voir avant que de mourir.

  1. Voyez une note de la lettre de Frédéric du 20 février 1740.