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1035. — À M. L’ABBÉ D’OLIVET.
À Cirey, ce 19 janvier.

Vous me faites goûter un plaisir bien rare, mon ancien maître, mon cher ami toujours mon maître ; vous devriez bien écrire plus souvent. Vous devriez plutôt venir prendre une cellule dans le couvent, ou plutôt dans le palais de Cirey, Celle que vient de quitter Archimède-Maupertuis[1] serait très-bien occupée par Quintilien-d’Olivet. Vous verriez si la masse multipliée par le carré de la vitesse, ou si les cubes des distances des planètes font oublier les Tusculanes, et si Locke fait négliger Virgile ; vous verriez si l’histoire est méprisée. Vous passez volontiers vos hivers hors de Paris. Si vous allez en Franche-Comté, souvenez-vous que Cirey est précisément sur la plus belle route.

Ne vous imaginez pas que la vie occupée et délicieuse de Cirey, au milieu de la plus grande magnificence et de la meilleure chère, et des meilleurs livres, et, ce qui vaut mieux, au milieu de l’amitié, soit troublée un seul instant par le croassement d’un scélérat qui fait, avec la voix enrouée du vieux Rousseau, un concert d’injures méprisées de tous les esprits, et détestées de tous les cœurs.

Pour punir l’abbé Desfontaines, je ne voudrais qu’une chose : lui démontrer que je n’ai pas plus de part que vous au Préservatif. L’auteur de cet écrit a fait usage de deux lettres que vous connaissez il y a longtemps : l’une, sur l’évêque de Cloyne, Berkeley, auteur de l’Alciphron, l’autre, sur l’affaire de Bicêtre. Une ou deux personnes ont aidé l’auteur à brocher ce Préservatif, qui n’est qu’une table des matières, et non point un ouvrage. J’en ai en main la preuve démonstrative, que je vous ferais voir si l’abbé Desfontaines, qui me doit la vie, qui pour toute reconnaissance m’a tant outragé, était capable de sentir son tort et de se corriger ; il ne faudrait pas d’autre réponse.

Mais, si j’en fais une, elle sera aussi modérée que son libelle est emporté, aussi fondée sur des faits que son écrit est bâti sur des calomnies, aussi touchante peut-être que ses ouvrages sont révoltants. Tout le mal de cette affaire, c’est que ce sont deux ou trois jours arrachés à l’étude ; amice, très dies perdidi. Je suis prêt à pleurer quand il faut consumer ainsi le temps destiné à l’ami-

  1. Maupertuis arriva à Cirey le 12 janvier ; il en partit le 10 pour aller voir Jean Bernouilli à Bâle. Clairaut l’accompagnait probablement dans ce voyage. (

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