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auprès du prince. L’afaire des souscriptions, si elle dure encore, est essentielle ; et votre honneur, votre devoir, je dis le devoir le plus sacré, est de les payer de mon argent, s’il s’en trouve. Cela a paru si essentiel à M. et à Mme du Châtelet que vous les outrageriez en faisant sur cela la moindre représentation. Il ne faut rougir ni de faire son devoir, ni de promettre de le faire, surtout quand ce devoir est si aisé. À l’égard de la lettre que M. du Châtelet exige de vous, il sera très-piqué si vous ne l’écrivez pas : il la faut écrire ; pour moi, je la trouve inutile. Je vous la renverrai, et n’en ferai point usage ; mais il faut contenter M. et Mme du Châtelet.

Tout le monde est indigné ici de l’exemple de dom Prévost[1], que vous citez toujours. Quand quelque dom Prévost aura refusé dix mille livres de pension d’un prince souverain[2], quand il aura donné quelquefois et partagé souvent le profit de ses ouvrages, quand il aura donné des pensions à plusieurs gens de lettres, quand il aura fait des ingrats et la Henriade, alors vous pourrez me citer dom Prévost. N’en parlons plus. Une lettre d’attachement à Mme du Châtelet, de la vigueur, et des lettres fréquentes à votre intime ami Voltaire, et tout est effacé, tout est oublié. Mais plus de politique : elle n’est faite ni pour vous ni pour moi, et je ne connais et n’aime que la franchise. Voilà tout ce que je veux, et comptez que mon cœur est à vous pour jamais. Il est vrai, il est tendre, vous le connaissez ; adieu.

[3]J’ai dicté tout cela bien à la hâte ; j’ajoute qu’on nous écrit, dans le moment, que votre malheureuse lettre à Mme du Châtelet va être publique dans le Pour et Contre[4]. Ah ! mon ami, serait-il vrai ? Ce serait le plus cruel outrage à Mme du Châtelet et à toute sa famille. De quoi vous êtes-vous avisé ? quelle malheureuse lettre ! qui vous la demandait ? pourquoi l’écrire ? pourquoi la montrer ?

S’il en est temps, volez chez le Pour et Contre, brûlez la feuille, payez les frais ; mais je ne crois pas que cela soit vrai. Voilà ce que c’est que de garder le silence dans de telles occasions. Il fallait écrire toutes les postes. Je vous embrasse.

  1. L’abbé Prévost avait été bénédictin ; et l’on donnait le dom aux religieux de cet ordre.
  2. Voyez tome XXXIII, page 579.
  3. Ces dernières lignes sont de la main de M. de Voltaire. (K.)
  4. De l’abbé Prévost.