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Vos anciennes lettres où vous dites que « Desfontaines est un monstre, qu’il a fait contre moi un libelle intitulé Apologie du sieur de Voltaire[1] ; qu’il a fait imprimer la Henriade à Évreux, avec des vers contre Lamotte ; celles où vous dites que c’est un enragé qui, etc. : » tout cela a été vu, lu, relu ici, signé par vingt personnes, déposé chez un notaire : ainsi nul besoin d’éclaircissement ; mais j’avais besoin, moi, d’un tégmoignage de votre amitié, de votre diligence, d’un zèle honorable pour tous deux, égal à celui que Mme de Bernières[2] a fait paraître. Je l’attendais non-seulement de votre tendresse, mais de votre honneur outragé par un malheureux qui vous a toujours traité avec le dernier mépris, et dont les outrages sont imprimés. Je n’ai jamais soupçonné que vous balançassiez entre l’ami tendre et solide de vingt-cinq années, et le scélérat dont vous ne m’avez jamais parlé qu’avec horreur.

Encore une fois, il ne s’agit que de vous et non de moi. Écrivez à Mme du Châtelet et au prince en termes qui leur persuadent votre amitié, autant que j’en suis persuadé : c’est tout ce que je veux. J’ai fait assez de bien à des ingrats ; j’ai fait d’assez bons ouvrages, et je les retouche avec assez d’assiduité pour ne rien craindre de la postérité, ni pour mon cœur, ni pour mon esprit, qu’on n’appellera ni l’un ni l’autre paresseux. J’ai assez d’amis et de fortune pour vivre heureux dans le temps présent. J’ai assez d’orgueil pour mépriser d’un mépris souverain les discours de ceux qui ne me connaissent pas. En un mot, loin d’avoir eu un instant de chagrin de l’absurde et sot libelle de Desfontaines, j’en ai été peut-être trop aise. Votre seul article m’a désespéré. Entendre dire par tout Paris que vous démentez votre ami, qui a preuve en main, en faveur de votre ennemi ; entendre dire que vous ménagez Desfontaines, c’était un coup de poignard pour un cœur aussi sensible que le mien. Je n’ai donc plus qu’à remercier mon bon ange de deux choses : de la fermeté intrépide de votre amitié, qui ne doit pas être négligente ; et de l’occasion admirable qu’on me donne de confondre mes ennemis.

Écrivez, vous dis-je, à Mme du Châtelet. Point de politique, point de ces lâches misères ; allez vous faire… avec vos gens de cour qui voient votre lettre. Il est question de votre cœur ; il est question de vous attacher, pour le reste de votre vie, l’âme la plus noble qui existe au monde, et que vous adoreriez si vous saviez de quoi elle est capable.

  1. Voyez la note de la lettre 1005.
  2. Voyez la note 2 sur la lettre 1026.