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2° Les noms doivent entrer pour si peu de chose dans cette querelle qu’en effet ceux qui combattent les vérités nouvellement découvertes, ou qui en tirent des conclusions en faveur des tourbillons, ne suivent Descartes en aucune manière. Il y a longtemps qu’on a été forcé de renoncer à son système de la lumière, à ses lois du mouvement, démontrées fausses dès qu’elles ont paru ; à ses tourbillons qui, tels qu’il les a connus, renversent les règles de la mécanique sur lesquelles il disait que sa philosophie était fondée ; à son explication de l’aimant, à sa matière cannelée, à la formation imaginaire de son univers, à sa description anatomique de l’homme, etc. On proscrit tous ses dogmes en détail, et cependant on se dit encore cartésien[1] ! C’est comme si on avait dépouillé un roi de toutes ses provinces l’une après l’autre, et qu’on se dît encore son sujet. Il ne s’agit pas, encore une fois, de savoir si un homme qu’on appelait René Descartes a été plus grand par rapport à son siècle qu’un certain homme nommé Isaac Newton n’a été grand par rapport au sien ; et s’il fallait entrer dans cette autre question non moins frivole, que cependant on agite, savoir lequel a été le plus grand physicien, Descartes ou Newton, il suffirait de considérer que Descartes n’a presque point fait d’expériences ; que, s’il en avait fait, il n’aurait point établi de si fausses lois du mouvement ; que, s’il avait même daigné lire ses contemporains, il n’aurait pas fait passer le sang des veines lactées par le foie, quinze ans après qu’Azellius avait découvert la vraie route ; que Descartes n’a ni observé les lois de la chute des corps et vu un nouveau ciel comme Galilée, ni deviné les règles du mouvement des astres comme Kepler, ni trouvé la pesanteur de l’air comme Torricelli, ni calculé les forces centrifuges et les lois du pendule comme Huygens, etc. D’un autre côté, on verrait Newton, à l’aide de la géométrie et de l’expérience, découvrir les lois de la gravitation entre tous les corps, l’origine des couleurs, les propriétés de la lumière, les lois de la résistance des fluides, etc.

Enfin, si l’on voulait discuter la physique de Descartes, que pourrait-on y apercevoir que des hypothèses ? Ne verrait-on pas avec douleur le plus grand géomètre de son temps abandonner la géométrie, son guide, pour se perdre dans la carrière de l’imagination ? Ne le verrait-on pas créer un univers au lieu d’examiner celui que Dieu a créé ?

Veut-on se faire une idée très-juste de sa physique ? Qu’on

  1. Ce passage est déjà tome XXIII, page 75.