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reproche. Je ne m’attendais pas que depuis le 14 décembre que son libelle a paru, je ne recevrais qu’une lettre de vous[1]. Si vous m’aviez écrit avec amitié, et tout uniment comme à l’ordinaire, je n’aurais point eu à me plaindre. Personne ne vous a jamais demandé de lettre ostensible[2] ; mais, moi, je demandais à votre cœur des marques de votre amitié, et j’ai eu la mortification de n’en recevoir aucune, pendant que les plus indifférents m’écrivaient les choses les plus fortes et les plus touchantes, et m’offraient les plus grands services. Mme et M. du Châtelet, Mme de Champbonin, tout ce qui est ici, effrayés de votre silence, ne savent à quoi l’attribuer. Pour moi, qui ne pense pas seulement à Desfontaines, et qui ne pensais qu’à l’amitié, je ne me crois outragé que par l’inquiétude où vous me laissez.


1023. — À M. DE CIDEVILLE.
À Cirey, ce 14 janvier[3].

La Mérope est partie par le coche, mon charmant ami, je n’ai que le temps de vous le dire. Qui croirait qu’à la campagne on n’a pas un quart d’heure à soi ? Mais cette campagne est Cirey. Lisez, amusez-vous avec le tendre philosophe Formont. S’il est à Rouen, qu’il vous montre mon Épître sur l’homme ; montrez-lui la vôtre. Puissent mes écrits servir au moins à vos amusements ! tout cela n’est point fait pour être public ; eh ! qu’importe ce malheureux public ? les amis sont tout, il faudrait n’écrire que pour eux. Vous avez perdu un ami bien aimable ; que ne puis-je vivre avec vous, et adoucir par mes soins les regrets de sa perte ! Faut-il que nous soyons destinés à vivre loin l’un de l’autre ! il me semble que j’en vaudrais mille fois mieux si je vivais avec vous. J’ai peur d’avoir embrassé trop d’étude ; ma santé succombe, mes pas bronchent dans la carrière ; soutenez-moi par vos avis, et par les marques d’une amitié qui fera toujours ma consolation la plus chère.

Mme du Châtelet vous fait bien des compliments. Je vous embrasse, mon cher ami.

  1. Plus loin, lettre 1034, Voltaire dit que cette lettre de Thieriot fut écrite seize jours après le 14.
  2. Allusion à la lettre 1001, écrite le 31 décembre par Thieriot à Mme du Châtelet.
  3. L’original de cette lettre est ainsi daté ; il est adressé à M. de Cideville, ancien conseiller au parlement, à Rouen : ce qui indique que l’ami de Voltaire, suivant les conseils de ce philosophe, avait quitté la carrière de la magistrature. (Cl.)